Les reniements de la Mitterrandie

Avec Sanctuaire, Olivier Masset-Depasse revient sur les années 1984-1986 en France, face aux réfugiés de l’ETA. Une fiction flirtant avec le réalisme du documentaire.

Jean-Claude Renard  • 26 février 2015 abonné·es
Les reniements de la Mitterrandie
Sanctuaire , lundi 2 mars, à 20 h 50, sur Canal +.
© Jérôme Prébois/Haut et Court/Canal+

En 1984, voilà trois ans que François Mitterrand est au pouvoir. En Espagne, les franquistes ont laissé place à un gouvernement de gauche dirigé par Felipe González. Les deux dirigeants socialistes vont devoir négocier sur le terrain basque français. Là où les séparatistes de l’ETA vivent avec le statut de réfugiés politiques et n’en commettent pas moins des attentats sur le sol ibérique. Si l’Espagne réclame la fin de ce sanctuaire, la France lui reproche une armée toujours aux mains des franquistes, tandis que les Groupes antiterroristes de libération (GAL) exécutent sympathisants et membres de l’ETA. Il appartiendra à deux hommes de tenter de s’asseoir à la même table (ou pas) pour sortir d’une crise sanglante. L’un est le chef de l’appareil militaire d’ETA, Domingo Iturbe Abasolo, l’autre est un jeune conseiller de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, Grégoire Fortin. Tel est le canevas de départ de Sanctuaire, une fiction réalisée par Olivier Masset-Depasse, qui avait déjà signé Illégal en 2010, autour de la situation de clandestins russes en Belgique.

D’un film à l’autre, l’œuvre est inspirée de faits réels. Avec beaucoup de recul pour Sanctuaire, relatant des événements d’il y a trois décennies. Étiré sur deux années, entre 1984 et 1986, Sanctuaire se veut d’abord pédagogique, avec des bancs-titres décrivant une organisation qui a combattu la dictature de Franco, contribué à la chute de son régime, bénéficié de nombreux soutiens en Europe. Suivront les attentats. Puis la question de l’extradition ou de l’expulsion des réfugiés, en dépit du droit d’asile. Un « déshonneur » pour Badinter. Un reniement aussi. Curieusement, cette période a peu été traitée en fiction. Il a fallu « se plonger dans cette histoire, aller chercher des témoignages qui finalement ont imbibé le film plus qu’ils ne l’ont construit, mais en apportant un supplément d’âme », explique Olivier Masset-Depasse. Le matériau était plus épais du côté de l’ETA, « plus faible du côté gouvernemental, où peu de chose est sorti ». Et pour cause. Les barbouzes des GAL n’ont jamais été condamnées par la justice française. C’est ce que rend très bien ce film : au-delà d’une négociation entre deux hommes, Sanctuaire brosse le tableau de deux démocraties socialistes et d’une redéfinition de leur lutte, « d’une gauche engluée dans ses contradictions dès lors qu’elle arrive au pouvoir, qui doit s’adapter et peut-être faire le deuil de ses valeurs, poursuit le réalisateur. 1984-1986, c’est clairement la fin des illusions de la Mitterrandie. Difficile même de trouver une fin plus sombre. Au tournant de la rigueur, la Mitterrandie devient politicienne et glisse vers la droite. La réalité socialiste, c’est ça, un glissement à droite. Aujourd’hui encore » .

C’est dans ces complexités politiques que se déploie le film, ici le poids du cérémonial, là des coups bas, des trahisons, des rivalités, des convictions, des désillusions. Sanctuaire oscille ainsi entre politique et politique politicienne, en montrant les coulisses. À vrai dire, observe encore le réalisateur, « on pourrait remplacer l’ETA par une autre organisation. Les mécanismes sont les mêmes et toujours d’actualité. Ma tâche est de mettre de l’humain dans tout ça. Mon travail, c’est la recréation du réel, avec des éléments de fiction, pour faire croire que c’est presque du documentaire ». D’où l’intrusion d’images d’archives de journaux télévisés (Laurent Fabius devant Christine Ockrent, Charles Pasqua devant Claude Sérillon), comme s’il fallait rappeler la réalité des choses, au risque, certes, de faire sortir le téléspectateur de la fiction. « Mon but de réalisateur n’est pas de dire “ça s’est passé exactement comme ça”, estime Olivier Masset-Depasse, mais de rester au plus proche. Je me définis comme un réaliste, en essayant de trouver la justesse dans l’âpreté et de tirer des trajectoires humaines. » Une humanité servie ici par le jeu remarquable de Jérémie Renier en Fortin, de François Marthouret en Badinter, ou encore d’André Marcon en Mitterrand, déclarant au jeune conseiller : « La politique, c’est beaucoup de frustration pour peu de réussite. » On est bien là dans le cynisme de l’époque.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes