Ukraine : Quand l’histoire hésite

Après les accords de Minsk 2, de multiples obstacles sont encore à franchir. À commencer par le cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes alors que des combats se poursuivent en plusieurs endroits.

Denis Sieffert  • 19 février 2015 abonné·es
Ukraine : Quand l’histoire hésite
© Photo : AFP PHOTO / OLEKSANDR RATUSHNIAK

«Qui sont donc ces Ukrainiens qui ont dit non à Poutine ? », demande Alain Guillemoles en exergue d’un livre qui sort au moment même où un très léger vent d’espoir souffle à l’est de l’Europe. Qui sont-ils, et qui sont aussi ceux qui, dans la région du Donbass, à la frontière russe, disent « non » à l’Union européenne ? C’est un extrait qui répond à cette dernière question que nous avons choisi de publier ici. Comme presque toujours dans ce conflit fratricide, deux lectures sont possibles. On peut y voir une population gorgée de propagande « poutinienne », apeurée par une mainmise de l’Union européenne et, pire encore, de l’Otan, c’est-à-dire de « l’Amérique ». Une population qui ne voit à Kiev que nazis et agents de la CIA. Grossière caricature évidemment. Mais on peut y voir aussi une population traumatisée par l’histoire récente. Celle de ces vingt-cinq dernières années, de la décomposition de l’URSS, de son humiliation par l’Occident avide de jeter son dévolu sur le grand marché de l’Est qui lui échappait. Des gens qui vivent la révolution de la place Maïdan, de l’automne 2013, comme la suite de cette histoire tragique. D’où une résistance qui se nourrit de nostalgie de la gloire et de la puissance passée, qui n’est pas éloignée de ce qu’éprouve une partie de la population russe. Alain Guillemoles ne tait pas son engagement. Il défend les idéaux de la protestation de la place Maïdan, mais il rend aussi intelligibles les raisons de ceux qui, à Donietsk ou à Lougansk, s’opposent. Ce qui nous intéresse ici, c’est moins ceux que l’on appelle les séparatistes, mercenaires ou soldats russes cagoulés, de plus en plus fortement armés par Poutine, que les petites gens, économiquement et culturellement proches de la Russie. Les premiers sont parfois des soudards. Mais ils ne seraient rien sans le soutien d’une partie de la population.

Pendant ce temps-là, sur le terrain, la situation hésite. Il était encore bien trop tôt, mardi, pour dire si une paix durable pouvait s’installer dans l’est de l’Ukraine, au terme d’un conflit qui a fait plus de cinq mille morts en dix mois. Malgré une nette accalmie, dimanche, après les accords de Minsk 2, signés le 13 février à la suite de l’initiative franco-allemande, au moins cinq soldats ukrainiens ont péri dans des combats près de Marioupol. On sait que cette ville est considérée comme stratégique par les belligérants parce qu’elle est sur la route qui va de la Russie à la Crimée annexée. Des combats se poursuivaient sur d’autres points chauds de la ligne de front. Des incidents qui permettaient aux deux parties de refuser d’appliquer l’un des premiers points de l’accord : le retrait des armes lourdes. Prévu pour lundi soir, il devait commencer en principe 48 heures après l’arrêt des tirs. On était donc loin du compte.

D’autres combats intenses se poursuivaient autour de la ville de Debaltseve, point névralgique où sont stationnés plusieurs milliers de soldats ukrainiens menacés d’encerclement. Un véritable siège de la ville par les séparatistes interdisait l’évacuation de près de cinq mille civils privés de ravitaillement. Selon un porte-parole ukrainien, les séparatistes auraient reçu l’ordre de prendre Debaltseve « à tout prix ». Cela, pour être dans la meilleure position lorsqu’il s’agira d’appliquer le contenu de Minsk 2, c’est-à-dire l’autonomie régionale et la « pacification » de la frontière. L’ennui, c’est que cette surenchère risque de rendre impossible le passage à la deuxième étape des accords. À supposer que la première étape, celle du cessez-le-feu et du retrait des armes lourdes soit réussie, tout sera fragile tant que la solution politique ne sera pas mise en œuvre. Ce qui renvoie au contenu des accords de Minsk 2, et à ce que ses parrains, français, allemands et russes entendent par « autonomie ». Poutine et les séparatistes voulaient la « fédéralisation », qui donnerait une quasi-souveraineté à la région frontalière. Ce n’est pas ce qui est inscrit dans l’accord ratifié le 13 février. Mais où donc s’arrêtera le curseur de l’autonomie ? C’est finalement la grande question qui, faute d’une clarification pratique admise par tous, risque à tout moment de remettre le feu aux poudres. Le livre d’Alain Guillemoles permet de comprendre la profondeur d’un contentieux qui réveille les vieux démons de l’histoire, même les plus lointains.

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