Journaux scolaires : « Une première expérience citoyenne et politique forte »

Témoignant d’un appétit très vif pour l’actualité et le débat, la presse scolaire connaît un engouement qui ne faiblit pas, avec près de 900 publications.

Jean-Claude Renard  • 26 mars 2015 abonné·es
Journaux scolaires : « Une première expérience citoyenne et politique forte »
© Une illustration du numéro spécial du Petit Corot publié après les attentats de janvier.

Créé en 1983 sous l’égide de l’Éducation nationale, relayant l’ensemble des publications en milieu scolaire, le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi) a pour mission d’accompagner les élèves dans une pratique citoyenne des médias. Un objectif qui s’appuie sur des partenariats entre enseignants et professionnels de l’information. Doté d’un dépôt pédagogique, le Clemi conserve la mémoire des journaux scolaires et lycéens, représentant ainsi une base de données et d’informations solide sur le dynamisme des activités, dont le point d’orgue serait la Semaine de la presse et des médias dans l’école, initiée par le Clemi il y a vingt-cinq ans. À cette occasion, ce sont 3,5 millions d’élèves mobilisés dans 15 000 établissements. Pascal Famery fait ici le point sur la vitalité et la diversité de ces publications.

Les journaux scolaires et lycéens sont-ils plus nombreux aujourd’hui qu’hier ?

Pascal Famery : Pas vraiment. En fait, cela dépend des catégories. Le dépôt pédagogique, instauré en 2002, fonctionnant comme le dépôt légal, permet de mesurer le nombre de publications. En 2014, nous avons reçu 200 journaux d’école, 400 journaux de collège et près de 300 journaux lycéens. Par rapport aux années précédentes, on observe une baisse dans les écoles, une légère augmentation dans les lycées et une stabilité dans les collèges.

La pratique d’Internet réduit-elle le nombre de publications ?

C’est variable selon les niveaux. Il existe assez peu de blogs ou de sites en lycée, alors qu’il y a dix ans on prédisait la fin du papier. On en est loin ! Quand les lycéens créent un média de façon autonome, ils se tournent vers le papier. Pour eux, le papier reste le support noble. C’est aussi un objet bien adapté à la micro-société que représente le lycée, qui peut circuler, qu’on peut montrer. Enfin, Internet fait tellement partie de leur univers que le papier reste la meilleure manière de se distinguer, de se dépayser. En collège, les blogs et les sites se développent davantage, sans doute parce qu’ils sont accompagnés par les professeurs, ce qui favorise leur création.

Quelle est la périodicité moyenne de ces journaux ? Ont-ils une longue espérance de vie ?

La référence est trimestrielle. Certains font plus, d’autres moins. À côté demeurent quelques exceptions, avec une publication mensuelle. Dans l’ensemble, l’espérance de vie est d’un an au lycée, un peu plus longue au collège, parce que les journaux sont plus encadrés. Le projet s’étend sur la durée d’un cycle lycéen, donc rarement au-delà de trois ans, sauf quand il s’agit d’une vision particulière du chef d’établissement, avec une équipe pédagogique très attentive à la poursuite de l’expérience. Il existe aussi des établissements qui possèdent leur journal depuis longtemps mais avec un titre différent, parce que les élèves veulent rompre avec un héritage, se distinguer de leurs aînés, avec un autre ton, une autre formule.

Peut-on parler de courants d’idées, d’engagements ?

L’engagement est évident : il a toujours été présent dans le journal lycéen. Il était très fort dans le combat contre le CPE, en 2006, ou au moment du sommet climat de Copenhague, en 2009. En 2013, la grande cause était celle du mariage pour tous. Les articles ne sont pas tous portés par un discours politique construit, mais on observe un appétit très fort pour l’actualité, ce qui n’était pas le cas dans les années 1980 et 1990, tournées davantage vers les grandes questions de société comme le racisme. Aujourd’hui, beaucoup s’intéressent aussi à l’actualité internationale et aux questions environnementales. Dans l’ensemble, les articles s’inscrivent dans des valeurs de gauche, avec parfois des débats contradictoires. Ce sont souvent des sujets déjà très relayés dans les médias.

Des événements comme les attentats de janvier ont-ils une résonance en termes d’écriture ?

C’est évident. Nous avons déjà reçu une cinquantaine de numéros spéciaux consacrés à Charlie Hebdo, ce qui est considérable vu l’énergie que cela nécessite. Certains journaux sont même parus dès la deuxième semaine de janvier. Pour une partie, les auteurs se sont identifiés à la rédaction de Charlie, en parlant de confrères, de collègues, même s’ils ne connaissaient pas l’hebdo auparavant. Si les contenus se partagent entre l’histoire de Charlie, le récit des événements et l’émotion que les attentats ont suscitée, le côté dessins a beaucoup joué aussi, puisque le dessin nourrit également leurs journaux. Par ailleurs, nous avons été surpris par le fait que beaucoup se détachent de l’état d’esprit « Je suis Charlie », tantôt par provocation, tantôt par refus du consensus. On lit aussi de nombreux papiers où les élèves se sont sentis obligés de se justifier en tant que musulmans, soulignant que les terroristes n’ont rien à voir avec l’islam, dénonçant les amalgames.

Comment expliquez-vous l’engouement renouvelé pour l’existence d’un journal en milieu scolaire ?

Il témoigne de l’intérêt des élèves pour ce qui se passe autour d’eux. C’est l’occasion de s’exprimer sur le monde, soit avec ironie, colère ou gravité, soit avec émotion. Pour eux, c’est une expérience fondatrice. Ils ne deviendront pas tous journalistes, mais cela reste une expérience d’autonomie collective forte. Chacun doit trouver sa place, confronter ses idées. Un journal lycéen qui déboule dans un bahut, c’est un chien dans un jeu de quilles. Ça trouble tout le monde. Je ne connais pas de bon journal lycéen qui n’ait pas été en conflit à un moment donné avec la direction de l’établissement ou certains professeurs. C’est un conflit très formateur, sur la liberté d’expression, sur des sujets parfois délicats. Les journaux n’étant pas codifiés, ça peut créer des tensions. Tout bon journal passe par ces épreuves, se frotte aux limites, aux réactions. C’est une entreprise citoyenne, une expérience politique.

Pascal Famery est coordinateur national pour l’expression des jeunes et des journaux scolaires et lycéens.

Le Clemi édite chaque année une revue de presse des journaux scolaires et lycéens, accessible et téléchargeable sur son site www.clemi.org

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