La BCE savonne la planche

La BCE et la troïka veulent à tout prix faire plier la Grèce.

Jean-Marie Harribey  • 26 mars 2015 abonné·es

La Banque centrale européenne  (BCE) a commencé à mettre en œuvre son programme de rachat de titres publics et privés sur le marché secondaire des obligations. Il s’étalera de mars 2015 à septembre 2016, à hauteur de 1 140 milliards d’euros, et plus si nécessaire, a déclaré Mario Draghi. Les commentaires les plus entendus de ce dispositif le qualifient de « planche à billets ». Or, la création de monnaie ne fonctionne pas ainsi. Lorsque la banque centrale rachète des titres aux banques ordinaires, elle crédite le compte qu’elles ont auprès d’elle. Elles n’ont alors aucun billet de plus. Mais, plus important, la nouvelle monnaie de type scriptural, portée au crédit de ces banques et au passif du bilan de la banque centrale, ne circule pas ipso facto dans l’économie. Il s’agit d’une potentialité de refinancement des banques. De la monnaie supplémentaire circulera dans l’économie lorsqu’une demande de crédit venant des entreprises, des ménages, voire des collectivités publiques, s’adressera aux banques. Si ces dernières satisfont cette demande, elles devront être refinancées par la banque centrale, en particulier pour pouvoir compenser entre elles leurs engagements réciproques (compensation obligatoirement effectuée en monnaie de la banque centrale), et pour faire face au besoin – minime mais réel – de billets de la population.

Or, les doutes que nous pouvions avoir au moment de l’annonce du programme de la BCE se concrétisent [^2]. Le premier porte sur l’attitude des banques. Dans une situation économique dépressive, les entreprises demandant peu de crédit, les banques seront tentées soit de se désendetter elles-mêmes, soit d’acheter d’autres actifs financiers, comme les actions. Déjà, les Bourses frémissent, parce que le taux d’intérêt, qui baisse par la politique d’assouplissement monétaire de la BCE, fait monter mécaniquement le prix des titres.

Le deuxième doute provient du fait que la BCE ne se résout pas à enfreindre jusqu’au bout les traités européens : elle n’achètera pas de bons du Trésor lors de leur émission (marché dit primaire). La BCE maintient donc une attitude contraire à celle qu’ont adoptée la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre. L’une et l’autre peuvent, si nécessaire, être un véritable « prêteur en dernier ressort » pour l’État, et injecter directement de la nouvelle monnaie dans l’économie, ce que ne fait pas la BCE.

Le troisième doute est sûrement le plus important. La BCE et les autres institutions de la troïka ne démordent pas de leur objectif de faire plier la Grèce, en maintenant leurs exigences de réformes structurelles mortelles et en refusant que le plan d’aide sociale du gouvernement soit mis en œuvre, pas plus que la dette publique soit renégociée. En pratiquant un chantage à la suppression des liquidités à la Grèce, pendant qu’elle prête à long terme 97,8 Mds à 0,05 % à 143 banques européennes, la BCE savonne la planche de la reprise de l’activité dans ce pays, mais aussi ailleurs. Pire, elle savonne la planche de la démocratie. Face aux oukases de la troïka, dans l’urgence, le salut de la Grèce est de refuser de payer : faire défaut, puis bloquer le mouvement des capitaux et reprendre la maîtrise de sa banque centrale. 

[^2]: Voir ma précédente chronique dans Politis du 29 janvier.

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