Les saintes séries

L’antique feuilleton est devenu un genre prolifique dont le succès ne se dément pas. Nouvel exemple : Peaky Blinders, autour d’un gang anglais dans les années 1920.

Jean-Claude Renard  • 5 mars 2015 abonné·es
Les saintes séries
Peaky Blinders , jeudi 12 mars, sur Arte, à 20 h 50 : deux épisodes par soirée, chaque jeudi, jusqu’au 26 mars (6 x 56’).
© TIGER ASPECT PRODUCTIONS

Dans une Angleterre urbaine à peine remise de la Grande Guerre. 1919. Les obus tombés dans les Flandres sont encore dans les mémoires. La ville de Birmingham survit dans sa grisaille industrielle. Les communistes entendent mener les grèves dans les usines et les ateliers, tandis que l’alcool, les jeux et la violence rythment le quotidien d’une population crevant dans le charbon. Au cœur des cités ouvrières règne un gang familial mené par les frères Shelby, dits les « Peaky Blinders », tirant leur nom des lames de rasoir dissimulées dans la visière de leurs casquettes. À leur actif, les paris de bookmakers, le marché noir et des vols divers. De la petite fripouille, donc, jusqu’à ce que le gang détourne sans le savoir une cargaison d’armes du royaume. Le gang passe dans une autre dimension, confrontée au premier flic du pays, en lutte contre les militants de l’IRA et les communistes. Du côté du gang, on se moque de tout cela. Il s’agit de faire bouillir la marmite. Quitte à faire des compromis avec les autorités…

Tel est le canevas de cette nouvelle série programmée sur Arte. Puisant dans l’histoire réelle de petits gangsters sévissant à la toute fin du XIXe siècle dans les faubourgs de Birmingham. Steven Knight a déplacé de trente ans son récit, replaçant les faits à l’orée de l’entre-deux-guerres. C’est le droit et l’avantage de la fiction, le scénariste renforçant la dramaturgie dans les traumatismes de l’après-guerre et les revendications prolétariennes. À l’écran, le résultat est remarquable, justement filmé, servi par des décors et des costumes poisseux et colorés, dans le jus, un scénario feuilletonnesque à la manière d’un Eugène Sue. Accrochant, accrocheur. C’est peu dire que les séries animent aujourd’hui les programmes de la télé et des écrans connectés. L’engouement pour le genre ne faiblit pas, attirant notamment un public qui regarde les saisons entières d’un seul trait. C’est que ce public n’attend plus patiemment son programme de 20 h 50. La vidéo à la demande et l’évolution des usages, comme le replay, ont changé la donne. On sait le succès planétaire de Game of Thrones. Ceux de Boardwalk Empire, The Walking Dead, les Soprano, ou encore Homeland, House of Cards, les Revenants. Liste non exhaustive. Autant de titres, autant de thèmes. Séries policières, politiques, historiques, fantastiques, d’horreur ou même déjantées, comme Breaking Bad, jetant sur la scène un prof de chimie virant en baron de la drogue. On est loin des séries traditionnelles que sont Castle, NCIS ou FBI portés disparus .

Canal + s’est bâti une belle réputation sur le genre. Avec des séries de qualité acquises à l’étranger ( Homeland, The Tudors, Gomorra ), d’autres produites (ou coproduites) par la chaîne, comme Engrenages, Borgia, Kaboul Kitchen, les Revenants. Depuis quelques années, Arte s’est aussi tourné vers la série, diffusant Breaking Bad, Hatufim, Borgen, Real Humans ou Top of The Lake. Avec pas moins d’exigence et d’originalité ( Ainsi soient-ils, livrant les tribulations de jeunes séminaristes en est le meilleur exemple), ou confiant à Bruno Dumont P’tit Quinquin. Cette exigence répond à la demande. Les chaînes ont bien compris que, pour fidéliser le téléspectateur, elles se doivent de proposer une offre léchée. The Code, thriller audacieux à la fois scientifique, politique et technologique, articulé autour des hackers, diffusé depuis le 19 février, en est un autre exemple. Au tour maintenant de Peaky Blinders, au fil narratif tout autant original. Il faut croire que le genre est prolifique. Surtout, il se pique de créativité, apporte un bol d’air au petit écran, s’affirmant comme un espace d’expression à part entière (et profitant peut-être de financements meilleurs que dans le cinéma indépendant). Loin des formats standardisés d’hier, les auteurs ont trouvé là un terrain d’écriture au long cours (et un nouveau public), dans une autre temporalité artistique, dense, foisonnante, subtile, complexe parfois, et du coup jubilatoire. Pas de hasard alors si Jane Campion signe Top of The Lake, non plus si Bruno Dumont prépare une deuxième saison du P’tit Quinquin.

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