Mysticisme et barbarie

Jean-Claude Fall présente son Tête d’or africain à Paris. Un Claudel qui résonne avec force.

Anaïs Heluin  • 26 mars 2015 abonné·es
Mysticisme et barbarie
© **Tête d’or** , de Paul Claudel, mis en scène par Jean-Claude Fall, au Théâtre de la Tempête jusqu’au 12 avril. www.la-tempete.fr

Lorsqu’il écrit Tête d’or en 1889, Paul Claudel a vingt ans. C’est son premier drame, et sa langue n’a pas encore atteint le lyrisme du Partage de midi (1906) ou du Soulier de satin (1929). Sa poésie y est plus rude, ses images plus concrètes. Des images de terre et de sang. Cette violence d’un vers claudélien en gestation est particulièrement difficile à porter sur scène. Claudel lui-même en avait sans doute conscience lorsqu’il interdit en 1939 la représentation de sa pièce à Jean-Louis Barrault. Ce dernier dut attendre la mort de l’auteur pour réaliser son projet en 1959, pour l’inauguration du Théâtre de l’Odéon. Ancien directeur du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis et fondateur en 1989 du festival Africolor, Jean-Claude Fall s’est à son tour saisi de la brutalité de Tête d’or .

Familier du Claudel de la maturité dont il avait déjà monté les deux pièces citées plus tôt, Jean-Louis Barrault avait voulu donner à Tête d’or le lyrisme des œuvres postérieures. Jean-Claude Fall est au contraire allé puiser dans le caractère très terrien – presque « archaïque », dit-il – de ce texte de jeunesse. Située en Afrique et interprétée par quinze comédiens de BlonBa, la troupe malienne la plus réputée au Mali et à l’étranger, sa mise en scène fait résonner les mots de Claudel d’une manière inattendue. Sable rouge et accent africain ancrent la fable dramatique dans un contexte différent et plus précis que ne l’avait prévu l’auteur. Au Caucase très improbable de Claudel, plein de références empruntées à des périodes historiques diverses, Jean-Claude Fall substitue une Afrique aussi mythique que réaliste.

Dans le rôle de Tête d’or, Ramsès Damarifa très connu au Mali campe avec talent un jeune homme pétri de violence et de contradictions. Dans un premier tableau d’un quart d’heure, on le voit évoquer avec Cébès (Abdoulaye Mangané) la vanité de la vie terrestre et son désir d’élévation. En parlant, il enterre sa compagne, victime d’une attaque. Les bases de la cohabitation entre spiritualité et barbarie sont posées ; elles se déploient dans les deux actes suivants, situés chacun dans des salles différentes entre lesquelles les spectateurs se déplacent. Tête d’or devient chef des armées et sauve un royaume en perdition. Il en tue le roi (Nouhoum Cissé), prend sa place et part en guerre avec son peuple. Mysticisme et barbarie se rejoignent alors : dans la mort, le héros aux allures de jihadiste trouve l’idéal qui l’animait depuis la première scène.

Théâtre
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