Non, Alexis Tsipras n’a pas « capitulé »

La presse s’est largement fait l’écho d’une « défaite » de Syriza vis-à-vis des institutions européennes. Pourtant, l’accord obtenu le 24 février ne brade en rien les promesses du parti.

Thierry Brun  • 5 mars 2015 abonné·es
Non, Alexis Tsipras n’a pas    « capitulé »
© Photo : Phil Ipparis / SOOC / AFP

Àen croire la plupart de nos médias, Alexis Tsipras aurait capitulé en rase campagne. Alors que l’on ignorait encore tout du contenu du compromis arraché in extremis le 24 février par Syriza, telle est la thèse qui prévalait. Le plan de réformes (voir ci-contre) permettant de prolonger de quatre mois le programme d’aide financière du pays, éloignant pour un temps le spectre de la sortie de la Grèce de la zone euro, approuvé par les ministres des finances de l’Eurogroupe, est résumé en une du Monde (daté du 25 février) par ce titre retentissant : « Grèce : le gouvernement Tsipras se plie aux exigences de Bruxelles ».

Sous la plume de Cécile Ducourtieux, le traitement est sans nuance : « La plupart des réformes figuraient déjà sur la liste établie par la troïka des créanciers, qui a imposé une sévère politique de rigueur au pays depuis 2010. » Une contrevérité, puisque les mesures qui devaient être appliquées avant l’arrivée au pouvoir de Syriza prévoyaient 160 000 licenciements supplémentaires dans l’administration, une nouvelle baisse des retraites de 10 %, de nouvelles taxes, une hausse de la TVA sur certains produits et de nouvelles réductions sur les prestations sociales, réduites à presque rien. Autant de mesures qui ne figurent pas dans l’accord du 24 février. Pourtant, le quotidien en rajoute dans son cahier « Éco&Entreprise » : « Tsipras oublie ses promesses de campagne pour satisfaire Bruxelles. » « Le gouvernement Syriza  […] vient de subir une défaite en rase campagne », s’enflamme Libération, le 25 février, dans un article de Jean Quatremer. Pour enfoncer le clou, celui-ci ajoute : « Le Premier ministre grec ne va pas avoir la tâche facile pour expliquer à sa majorité pourquoi il a fallu ainsi rendre les armes. » Le « revirement est cruel », selon l’Express, qui s’est concentré sur la « reddition à la grecque », insistant à plusieurs reprises sur la « capitulation », parce que « le gouvernement d’Athènes s’engage à soumettre les réformes qu’il entend mettre en œuvre aux trois mêmes institutions naguère dénoncées pour leur “illégitimité” », qui ne sont plus désignées sous le vocable honni de « troïka ». « Le nouveau pouvoir, issu de l’extrême gauche, pourra-t-il résister à ce revirement ? », s’interroge l’Express, qui a publié cet article sans avoir lu les mesures présentées par la Grèce…

Le rouleau compresseur libéral serait donc passé sur le gouvernement Tsipras, qui, attaqué par l’aile gauche de Syriza, devrait compter ses jours. Cette « campagne autour de la capitulation de la Grèce vise avant tout à discréditer toute idée d’alternative de gauche en Europe, réagit l’économiste grec Athanase Contargyris, un des fondateurs d’Attac Grèce. Certains ont même l’espoir que cette campagne affaiblisse l’assise populaire de ce gouvernement qui, avec 70 à 80 % d’opinions favorables, les effraie car il est, pour le moment, le seul grain de sable contre les politiques d’austérité ». La fable médiatique met aussi à nu la violence des institutions européennes, répondant aux exigences du gouvernement grec par le chantage, avec la BCE, et par le déni de démocratie. Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker déclarait fin janvier qu’il « ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens [^2] ». Loin de la rhétorique libérale, le gouvernement d’Alexis Tsipras, élu fin janvier sur la promesse de porter un coup d’arrêt à la politique d’austérité, s’est engagé à poursuivre les négociations sur la base, certes fragile, d’une liste de mesures reprenant en grande partie son programme. « La bataille pour la démocratie et contre l’austérité en Europe est loin d’être finie, mais cet accord-pont est un premier pas très important. Le gouvernement grec a gagné du temps pour mettre en œuvre son programme, notamment humanitaire, de lutte contre la corruption et la fraude fiscale », confirment les députés de la Gauche unitaire européenne, après lecture de l’accord. « Oui : le peuple grec a gagné une bataille ! Contrairement à une idée répandue, cet accord n’était nullement garanti ! », se réjouit Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, dans l’Humanité dimanche, le 26 février. En négociant un compromis, Athènes apporte la preuve que l’austérité ne marche pas, d’où la crainte des gouvernements conservateurs d’une « contagion ». En clair, « cachez ces avancées… », relève le 27 février le quotidien l’Humanité. « La vérité est que le gouvernement grec a bataillé seul contre tous. L’accord du 24 février laisse assez ouverte son interprétation. Ce n’est qu’à la fin des quatre mois qu’on pourra juger si la Grèce a capitulé ou a simplement gagné du temps et des marges de manœuvre », ajoute Athanase Contargyris.

Le compromis obtenu ne présage pas des discussions à venir. De lourdes incertitudes planent sur l’issue des négociations entre les autorités grecques et Bruxelles, qui vont marquer les quatre prochains mois. Mais c’est désormais le gouvernement grec qui décidera des réformes à entreprendre, et non les fonctionnaires de la troïka. Délibérément, le programme de réformes ne comporte pas d’échéances ni d’engagements chiffrés, a expliqué le ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis. Ainsi, l’État hellène n’est plus tenu de respecter l’objectif d’un excédent budgétaire primaire (avant service de la dette) de 3 % du PIB cette année. Cela veut dire que des milliards d’euros supplémentaires pourront aller aux dépenses jugées prioritaires par le gouvernement grec. Les institutions donneront leur avis, mais elles ne pourront plus dicter leurs conditions à Athènes. Contrairement à ce que voudrait laisser penser le concert tonitruant des libéraux, l’action du gouvernement Syriza et sa capacité de mettre en œuvre son programme ne sont nullement neutralisées. La présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, a par exemple annoncé le 25 février la constitution d’une commission d’audit de la dette et a également annoncé le lancement des enquêtes sur les mémorandums de l’ex-troïka.

[^2]: « Juncker dit “non” à la Grèce et menace la France », Michel Soudais, 29 janvier, Politis.fr

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