Voter les 22 et 29 mars ? Pour qui ? Pour quoi ?

TRIBUNE. L’universitaire Maryse Souchard espère qu’un fantastique mouvement d’abstention enlève toute légitimité à cette élection et oblige les vieux partis à changer en profondeur.

Maryse Souchard  • 19 mars 2015
Partager :
Voter les 22 et 29 mars ? Pour qui ? Pour quoi ?
Maryse Souchard est Maître de conférences HC en Sciences de l'Information et de la Communication - IUT de La Roche-sur-Yon.
© DAMIEN MEYER / AFP

Pour la première fois de ma vie d’électrice, je ne vais pas aller voter les deux prochains dimanches délibérément. Cette abstention est construite et je ne veux pas qu’il puisse être dit que je n’ai pas voté parce que je n’avais pas la pleine conscience des enjeux de cette abstention. Comme bien des abstentionnistes des 22 et 29 mars, je sais ce que je fais.

Pourtant, j’ai longtemps milité pour l’utilisation du droit de vote , en toutes circonstances, quitte à voter blanc, mais voter toujours. J’ai longtemps espéré que mon vote serait entendu, même mon vote blanc, et que ces votes qui refusaient les choix proposés trouvent leur place dans les décomptes. J’ai longtemps attendu que ceux pour qui je votais parfois à contre-cœur tiennent compte de ce vote et fassent évoluer leur programme en conséquence. Mais rien. Silence. Indifférence. Distance. Ignorance. Mépris.

Alors voter les deux prochains dimanches ?
Pour la parité : la belle blague !!! Il y a déjà quelques élections que la parité existe, par exemple aux élections municipales. Un homme, une femme, un homme, une femme, etc. Mais une fois l’élection gagnée, combien de femmes « Premier adjoint » ? Bien peu, l’homme numéro trois redevient le numéro deux sans que la loi ne puisse intervenir. Et combien de mairies dirigées par des femmes dont le Premier adjoint est aussi une femme ? Et dans les Régions, combien de femmes vice-présidentes, en charge de commissions décisionnelles ? Alors, pour ces élections départementales, combien de femmes deviendront vice-présidentes des Conseils généraux ? Je suis prête à prendre les paris : bien peu, trop peu, très peu. Et la loi, une fois encore, ne pourra pas intervenir.

  • Pour ne pas nier la démocratie et utiliser ce droit de vote dont bien des citoyens du monde aimeraient avoir l’usage : quelle démocratie ? Celle des professionnels de la politique, dont la politique est le seul métier ? Pour élire à nouveau des membres des professions libérales, des fonctionnaires, issus pour l’essentiel des classes les plus aisées de notre société ? Pour élire des personnes dont la seule ambition est d’être élues et de le rester ? Pour aider des députés, des sénateurs, des maires à rester (ou devenir) conseillers départementaux en cumulant les mandats et le pouvoir ? Pour reconduire au pouvoir ceux qui y sont depuis trop longtemps ?

  • Pour faire changer les choses : là, c’est clair, le président de la République, comme le Premier ministre l’ont dit tous les deux, peu importe le résultat des élections, ils ne changeront rien. Au moins, nous sommes fixés.

  • Pour sauver le soldat Hollande et/ou le soldat Valls ? Pour sauver la gauche ? Quelle gauche ? Celle qui nous gouverne ? Mais ce n’est plus (pas) la gauche ! Et puis, nous l’avons déjà fait : voter à contre-cœur pour ceux qui nous gouvernent aujourd’hui mais voter quand même. Pas un signe de ceux que nous avons élus envers ceux auxquels ils doivent le pouvoir. Leur profond mépris est à la mesure de leur absolue distance de leurs électeurs. Je l’ai déjà écrit, ils ne connaissent que leurs courtisans.

  • Pour sauver la France de l’extrême-droite ? Et voter à droite pour y parvenir ? Là encore, nous avons donné. Dans l’histoire, jamais les électeurs de droite n’ont voté à gauche pour faire barrage à l’extrême-droite. Ce sont toujours les électeurs de gauche qui font le travail. Jamais les partis de droite n’appellent à voter à gauche pour faire barrage à l’extrême-droite. Jamais. On l’a vu encore récemment. Et même si certaines personnes se déterminent en ce sens, l’opinion majoritaire est celle du « Ni-Ni », le tristement célèbre « Ni gauche – Ni droite – Fascistes » des Ligues d’extrême-droite des années trente. Quand les électeurs de gauche ont voté à droite pour éviter « le pire », en 1995 aux municipales, en 1998 aux régionales, en 2002 à la présidentielle, qu’ont-ils reçu en retour de leur absolue loyauté aux valeurs de la République ? Rien, néant.

  • Pour donner des voix aux petits partis en espérant qu’un jour ils (re)grandissent (le Parti communiste, le Parti de gauche, et d’autres) ? Mais ils agissent comme les vieux partis, ceux que j’appelais dans le temps « les partis de gouvernement » et qui ne sont que vieux aujourd’hui. Ils ne proposent rien de nouveau dans la façon de conduire notre démocratie. Rien sur le renouvellement des candidats et donc des élus. Rien sur un nouveau statut des élus qui permettrait à tous les citoyens d’occuper des fonctions électives une fois dans sa vie. Rien sur un changement de point de vue radical qui ferait qu’un bon citoyen ne serait pas seulement un bon consommateur. Rien sur une nouvelle organisation de notre société.

    Alors voter les 22 et 29 mars ? Voter cette fois-ci, c’est cautionner à nouveau cette terrible façon de faire et de penser la politique qui nous a conduit où nous en sommes : une extrême-droite qui est le premier parti de France et un taux d’abstention qui ne fait que grimper d’élections en élections. Preuve, s’il en était besoin, que le nombre des citoyens-électeurs qui ne se reconnaît plus dans les propositions partisanes est de plus en plus important. Peut-être aurions-nous dû ne pas voter plus tôt ? Peut-être aurions-nous dû faire entendre notre absolu rejet des vieux partis plus tôt ? Nous ne l’avons pas fait mais ce n’est pas une raison pour les reconduire au pouvoir une fois de plus. Il reste un seul espoir : qu’un fantastique mouvement d’abstention enlève toute légitimité à cette élection et que les vieux partis comprennent enfin qu’ils vont devoir absolument changer en profondeur. Il reste ce seul espoir.

Publié dans
Tribunes

Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.

Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don