Florence Delay : Les coulisses d’une vie

Deux livres de Florence Delay donnent à voir sa passion pour le théâtre.

Gilles Costaz  • 2 avril 2015 abonné·es
Florence Delay : Les coulisses d’une vie
© **La Vie comme au théâtre** , Florence Delay, Gallimard, 252 p., 18,90 euros. **Sept Saisons** , Florence Delay, Gallimard, Cahiers de la NRF, 380 p., 26 euros. Photo : Agnes Delahaie Productions

On en veut souvent aux gens qui ont eu trop de fées autour de leur berceau. Les portes les plus fermées se sont ouvertes tout de suite devant eux. Florence Delay pourrait entrer dans cette catégorie puisque, fille d’un grand médecin essayiste, elle a connu le Tout-Paris enfant et, en suivant un chemin virevoltant, a rejoint tardivement l’Académie française. Mais tout le monde ne peut pas être orphelin, et l’auteure de Riche et Légère sait ne pas prendre la pose, comme le confirme son nouveau livre, la Vie comme au théâtre .

Le théâtre, en effet, est le fil rouge d’une existence dominée par la littérature et traversée par le cinéma. Florence Delay a été actrice dès l’enfance, et même encore il y a quelques années à Avignon. Mais, dans le film rétrospectif de ses expériences, elle préfère se voir, à partir des années 1960, comme « bonne à tout faire, apprentie comédienne, doublure, souffleur, figurante, régisseur stagiaire, assistante ». C’est l’écriture qui l’emportera, avec notamment le splendide Graal Théâtre, qu’elle composa avec Jacques Roubaud, ou encore d’admirables traductions de l’espagnol, en particulier celles de pièces de Calderón – l’auteur qui la bouleversa le jour où une prof de philo lui parla du Grand Théâtre du monde. Florence Delay fut la Jeanne d’Arc de Robert Bresson alors qu’elle avait 20 ans. Ce fut une bonne leçon de théâtre – résultat paradoxal quand on sait que Bresson déteste tout ce qui est théâtre et théâtral. De cette expérience, elle tira ce précepte sur la diction : « Il me faut ici contredire le cliché d’un “recto tono” inspiré par la musique grégorienne. Non. Dire droitement les choses ne consiste pas à les dire étroitement mais en profondeur, et les conduire comme le chant grégorien à leur but. C’est pourquoi il faut baisser la voix en fin de phrase, marquer le point, d’où la difficulté duouiet dunon ”, si courts. » Dans ce livre vif, amusé, qui exprime beaucoup de reconnaissance envers des personnalités connues ou inconnues, passent Antoine Vitez, Patrice Chéreau, Pierre Clémenti, Jean Vilar, Jacques Roubaud, Marcel Maréchal… Et il y a des aveux. Florence Delay a triché. Dans l’une de ses chroniques de la Nouvelle Revue française (NRF), elle a inventé les prouesses d’un acteur italien qui n’existait pas, pour ne pas avoir à se rendre à un festival où elle n’avait aucune envie d’aller !

D’ailleurs, ces articles de critique de la NRF paraissent aussi sous le titre Sept Saisons. En effet, Florence Delay a rendu compte de l’activité théâtrale dans cette revue de 1978 à 1985. Ce sont de beaux articles, copieux, qui analysent autant l’œuvre et le contexte historique que le spectacle. On y trouve bien cette supercherie : une évocation d’un certain Ruggero Sani, qui n’a jamais existé avant de devenir le personnage d’un de ses livres ! On y découvre même un texte où Florence Delay fait la critique de sa propre pièce écrite avec Roubaud, Graal Théâtre. Là, dans le canular, elle rejoint Ingmar Bergman, qui s’est parfois diverti à éreinter ses films. Elle affirme rejoindre toute la presse qui n’a pas aimé cette soirée fleuve et applaudit ses confrères de l’avoir descendue. C’est évidemment au second degré : ce sont les journalistes qu’elle assassine sous de faux éloges, Michel Cournot en première ligne. Facétieuse Florence Delay, qui se souvient avec émotion des costumes qu’elle a portés et oublie les éloges pompeux recueillis tout au long d’une vie grave et gamine…

Théâtre
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