« Gramsci, une référence au sein des mouvements sociaux »

Directeur d’ Actuel Marx, le philosophe Emmanuel Renault explique le regain d’intérêt pour la pensée d’Antonio Gramsci.

Olivier Doubre  • 2 avril 2015 abonné·es
« Gramsci, une référence au sein des mouvements sociaux »
© **« Antonio Gramsci »** , *Actuel Marx,* n° 57, premier semetre 2015, PUF, 224 p., 25 euros. Photo : David Ramos/Getty Images/AFP

La dernière livraison d’ Actuel Marx rend compte des récentes recherches en Italie sur les textes de Gramsci et des nouveaux usages dont se saisissent aujourd’hui les mouvements sociaux.

Pourquoi, aujourd’hui, consacrer un dossier à Gramsci ?

Emmanuel Renault :  Ce dossier est né du fort regain d’intérêt qui s’exprime actuellement pour la pensée d’Antonio Gramsci, en particulier dans l’espace francophone. On le voit avec un certain nombre de publications, en premier lieu l’anthologie éditée par Razmig Keucheyan (La Fabrique), ou la réédition de celle d’André Tosel (Le temps des cerises). Il y a eu également un film de Fabien Trémeau, diffusé en DVD (Delga). Mais, au-delà de ces parutions, Gramsci apparaît aujourd’hui comme l’un des foyers principaux du marxisme vivant, pour ne pas dire sa figure principale. Or, en Italie, est en cours une nouvelle édition intégrale des Cahiers de prison, qui bouleverse grandement sa lecture. En outre, avec l’ouverture des archives de l’ex-URSS, on a eu accès à un grand nombre de matériaux permettant de mieux comprendre la manière dont il s’est positionné au regard des évolutions politiques de son temps. C’est comme si l’on pouvait quasiment recommencer de zéro les études gramsciennes !

Vous parlez d’un renouveau en la matière, notamment en Italie. Où en est-on ?

Grâce aux travaux récents autour de cette nouvelle édition des Cahiers en Italie, on comprend beaucoup mieux comment ils ont été écrits. On a longtemps cru qu’ils avaient été rédigés à la suite les uns des autres. Or, on découvre aujourd’hui que Gramsci ne travaillait pas du tout de cette façon. Pour la simple raison que le règlement de la prison lui interdisait d’avoir simultanément dans sa cellule un grand nombre de cahiers. Il divisait aussi chacun de ses cahiers en plusieurs sous-cahiers. De même, le nombre de livres qu’il avait le droit d’emprunter était limité. C’est donc toute la chronologie de la conception et de l’écriture des textes qui a été revue. Et ces éléments produisent des effets très importants sur l’interprétation des textes et de la formation de ses concepts.

Lesquels ?

Le chercheur italien Fabio Frosini montre par exemple, dans un article de notre dossier, que les idées que l’on associe habituellement au concept, central, d’hégémonie chez Gramsci correspondent en fait à une seule période de son élaboration et qu’au fil du temps cette conception a évolué, a été modifiée. On peut donc dire que les Italiens sont en train de nous apprendre à lire autrement les Cahiers de prison. Et, avec cette nouvelle chronologie concernant leur rédaction, à prendre en compte les différents événements politiques qui correspondent à tel ou tel développement dans l’œuvre. Tout cela est encore très peu connu chez nous, et c’est aussi pour ces raisons que nous avons voulu proposer ce dossier. Jusqu’ici, la référence à Gramsci en France existait surtout par l’intermédiaire de sa réception anglo-saxonne, à travers les cultural, subaltern ou postcolonial studies. Or, grâce à ce travail d’ampleur en Italie, on voit naître un “nouveau” Gramsci, susceptible d’être intéressant aussi bien politiquement que dans les sciences sociales, et de promouvoir des usages tout aussi nouveaux, qui font de ce penseur une référence agissante au sein de mouvements sociaux comme Occupy, les Indignés, et maintenant Podemos ou Syriza.

Idées
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