Obama et l’histoire

En amorçant une normalisation des relations avec le régime castriste, Obama met un terme à un anachronisme qui nous renvoie près de trente ans en arrière.

Denis Sieffert  • 16 avril 2015 abonné·es

L’annonce de la candidature d’Hillary Clinton, aussitôt suivie d’une salve de déclarations de jeunes loups républicains, nous propulse déjà en 2017. D’où la tentation de tirer un premier bilan de la présidence Obama. Ça tombe bien, alors que le Président américain vient d’accomplir deux gestes qui marqueront à coup sûr son passage à la Maison Blanche : la signature d’un accord-cadre avec l’Iran sur le dossier nucléaire, et la poignée de main historique avec le Cubain Raul Castro. Chaque fois, Barack Obama a bravé une majorité républicaine déchaînée. Avec l’Iran, certes, rien n’est fait, et les obstacles sont encore nombreux avant la ratification d’un accord définitif en juin prochain. Nous sommes ici dans le nœud gordien des relations internationales, où se mêlent tous les conflits du Proche et du Moyen-Orient. Le problème n’est pas le même avec Cuba.

En amorçant une normalisation des relations avec le régime castriste, Obama ne fait que solder un passé lointain. Il met un terme à un anachronisme qui nous renvoie près de trente ans en arrière. Sans compter que le rabibochage ne déplaît pas à certains hommes d’affaires étatsuniens. On aurait tort cependant de croire que la chose est facile. Ce serait mal connaître l’hystérie anti-communiste et le dogmatisme pathologique d’une partie de la classe politique, laquelle s’est d’ailleurs trouvé un champion pour 2017 en la personne de ce Marco Rubio, Cubain d’origine et réactionnaire en tout… sauf en ce qui concerne la politique d’immigration des Hispaniques… Pour cette Amérique-là, Cuba reste un tabou. C’est un peu la Palestine du continent américain. Une charge symbolique qui va bien au-delà de la réalité géographique. ** Bien sûr, les opposants à cet aggiornamento idéologique objecteront que La Havane est loin d’être devenue la capitale des droits de l’homme. On y emprisonne encore pour délit d’opinion. On y espionne toujours les dissidents. Et on y traque sans relâche les candidats au départ… Tout cela est vrai et insupportable. Mais l’ironie de l’histoire, c’est que les censeurs du régime castriste se recrutent aux États-Unis parmi les partisans les plus acharnés de la peine de mort, et d’une justice approximative, surtout quand il s’agit de condamner des Noirs et d’absoudre des policiers blancs à la gâchette facile. Sans parler du sort réservé au lanceur d’alerte Edward Snowden. Et là, il ne s’agit plus de l’Amérique réac’, mais du gouvernement fédéral…

Dommage, parce que parmi les documents révélés par l’ancien informaticien de la National Security Agency (car on surveille aussi aux États-Unis, et avec des moyens autrement sophistiqués !), il y avait la preuve que derrière les déclarations les plus véhémentes le dialogue n’a jamais été rompu avec Cuba. Ne serait-ce que parce que les États-Unis possèdent dans le sud-est de l’île une concession tristement célèbre : Guantánamo. À la fois base militaire et camp de détention dans lequel George W. Bush a enfermé sans preuves ni jugement des centaines de « terroristes » supposés. Un gros caillou dans la chaussure du démocrate Obama, qui avait promis en arrivant à la Maison Blanche de fermer cet enfer imité des pires dictatures. L’actuel Président a bien signé un décret dans ce sens en janvier 2009, mais le texte est jusqu’ici resté lettre morte. Voilà un autre geste que l’on attend d’Obama. À sa décharge, il faut dire que l’ancien sénateur de l’Illinois a succédé à l’un des présidents les plus réactionnaires de l’histoire des États-Unis – et pourtant la concurrence est rude ! Il a hérité d’un pays honni du monde entier. Or, quoi qu’on en dise, le virage idéologique a tout de même été spectaculaire. Mais on en est souvent resté à l’esthétique des mots. Le discours du Caire, par exemple, à l’adresse des musulmans, en juin 2009, était sacrément porteur d’espoir. L’Irak, ravagé par son prédécesseur, puis la Syrie, et Daech ont bouleversé ses projets de désengagements militaires. Sans oublier l’Égypte, où Washington a fait preuve de cynisme et de lâcheté au moment du retour de la dictature.

Et c’est ici aussi, au Moyen-Orient, que Barack Obama a subi son échec le plus cuisant. Face à Benyamin Netanyahou, il n’a pas su ou pas pu obtenir ne serait-ce que le gel de la colonisation. Sans doute le lobby pro-israélien américain est-il plus puissant que le groupe de pression des Cubains de Floride, et sans doute les enjeux sont-ils plus considérables dans cette région du monde, mais on attend encore du Président américain un acte significatif. Récemment, il s’est dit prêt à « réévaluer » la politique des États-Unis à l’égard d’Israël… avant de faire aussitôt marche arrière. En théorie pourtant, rien ne l’empêche de rompre avec cette politique du veto systématique au Conseil de sécurité de l’Onu. Ce serait déjà ça ! Si, après avoir enterré la doctrine Monroe, qui avait fait de l’Amérique latine la chasse gardée des « Yankees », il rompait avec une politique moyen-orientale calamiteuse, il aurait imprimé sa marque à l’histoire. Il lui reste dix-huit mois pour faire au moins un geste. Avec Cuba, il a fait le plus facile.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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