Stimuler l’investissement

La politique menée ne privilégie aucunement la redistribution.

Liêm Hoang-Ngoc  • 16 avril 2015 abonné·es

Le gouvernement vient d’annoncer des mesures en faveur de l’investissement. La principale consiste à déduire l’amortissement des investissements réalisés entre avril 2015 et avril 2016 de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Elle vise à réduire le coût du capital, sans réduire la part des bénéfices versés sous forme de dividendes. L’efficacité de cette mesure, dont le coût est estimé à 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, dépend des facteurs susceptibles d’influencer l’investissement, c’est-à-dire l’acquisition de machines. En théorie, l’investissement peut dépendre du coût relatif des facteurs de production (coût du capital par rapport à celui du travail), du taux de marge ou de la demande. Les modèles macro-économétriques français (Banque de France, Direction de la prévision à Bercy, Insee, Observatoire français des conjonctures économiques) excluent pour la plupart ce coût relatif des facteurs, considérant que le degré de substitution capital-travail est faible en France. Certains modèles ont intégré le profit comme variable explicative pour rendre compte de l’impact possible de la dégradation du taux de marge intervenue au cours des années 1970-1980. Le taux de marge s’est, depuis, redressé à un taux supérieur à celui des Trente Glorieuses, où il se maintient – malgré une légère dégradation après la crise de 2008 et grâce au CICE. L’accroissement de la part des bénéfices consacrés au versement des dividendes (au détriment de l’investissement) affaiblit désormais l’argument selon lequel les profits doivent être inclus dans la fonction d’investissement.

Dans ladite fonction, les facteurs explicatifs formant consensus parmi les macro-économistes sont l’accélérateur et le taux d’utilisation des capacités de production installées. Autrement dit, c’est la demande qui pousse les entreprises à accroître plus ou moins leur stock de capital. Lorsqu’elle est forte, le degré d’utilisation des capacités de production s’élève au-dessus de son taux normal, et les entreprises ont intérêt à investir si elles anticipent une augmentation permanente des carnets de commandes. En revanche, lorsque le taux d’utilisation des capacités de production est durablement inférieur au taux normal, elles n’auront aucun intérêt à acquérir des machines, même si le coût d’amortissement des nouveaux investissements est abaissé. Au contraire, elles ont même intérêt à détruire une partie du stock de machines inutilisées, dont l’amortissement (non concerné par l’exonération fiscale, portant spécifiquement sur les nouveaux investissements) est coûteux.

La mesure est toutefois susceptible d’améliorer la situation financière des entreprises qui bénéficient du regain de demande « venue d’ailleurs » : baisse de l’euro stimulant les exportations, baisse des taux d’intérêt et du prix de l’essence boostant la demande. Encore faut-il que cette conjoncture ne soit pas contrecarrée par des mesures d’austérité. À l’évidence, la politique menée ne vise aucunement à privilégier la redistribution et l’investissement public, alors que le contexte où prédomine un chômage plus « keynésien » que « classique » s’y prête. Cette erreur est d’autant plus manifeste que la contrainte extérieure, imposant jadis d’équilibrer les comptes extérieurs pour préserver le taux de change de la monnaie nationale dans l’ancien système monétaire européen, n’existe plus avec l’euro.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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