Les Indigènes de la République dans une « lutte des races sociales »

Le Parti des Indigènes de la République fêtait vendredi 8 mai ses dix ans avec sa traditionnelle dureté rhétorique. Bilan et règlements de compte.

Erwan Manac'h  • 12 mai 2015
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Les Indigènes de la République dans une « lutte des races sociales »
© Photos : EM.

Elle s’avoue fière, Houria Bouteldja. Malgré « les échecs, sûrement plus nombreux que les victoires » et un constat qui ne s’est pas amélioré. Fière d’avoir tenu toutes ses années à la marge d’un mouvement antiraciste moribond, pétri de guéguerres et de contradictions.

Les Indigènes de la République réunissaient leurs sympathisants vendredi 8 mai à Saint-Denis, pour célébrer le dixième anniversaire de l’organisation « décoloniale » . La grande salle de la bourse du travail déborde, grâce à la présence exceptionnelle d’Angela Davis, figure du mouvement américain des droits civiques, venue en amie.

Entrée sous l’ovation de la salle, elle tient un discours de (re)mobilisation, exhortant les militants français à « demander l’impossible » . Avec un diagnostic en forme de vécu personnel :

*« J’ai grandi dans un des États les plus ségrégés des États-Unis. Je suis allée dans le nord en pensant trouver la liberté. J’y ai découvert des formes plus raffinées de racisme. Alors, je suis parti en France, pays des droits de l’Homme, ou j’espérais trouver la liberté. J’y ai trouvé le racisme lié au colonialisme. »
*

Elle revient également sur les révoltes de Baltimore et appelle à « l’abolition du système carcéro-industriel et à la démilitarisation de la police » aux États-Unis.

« Lutte des races sociales »

Il y a dix ans, naissaient donc les Indigènes de la République, en réaction au vote d’une loi prescrivant dans les programmes scolaires l’enseignement du « caractère positif » de la colonisation. L’appel était lancé un 8 mai, « jour de deuil, où la France commettait il y a 70 ans un massacre de masse » à Sétif, en Algérie, introduit Houria Bouteldja porte-parole du Parti des indigènes de la République (Pir). Il intervenait un an après la loi interdisant les signes religieux à l’école et trois semaines après l’incendie de l’« hôtel » insalubre d’Opéra, à Paris, dans lequel 24 personnes trouvaient la mort.

Les Indigènes de la République voulaient mobiliser les Noirs et les Arabes de France, « victimes d’un racisme social » , pour les inviter à sortir d’un « antiracisme morale » et prendre enfin leur place, jusqu’alors limitée à une présence cosmétique, dans le champ politique.

« Je suis revenue de la grande illusion républicaine de l’intégration » , se souvient ainsi Louisa Yousfi, militante au Pir :

« J’ai osé arracher la parole au monopole des blancs qui ont trop longtemps parlé à ma place. Quand je dis “j’existe“, il ne s’agit pas d’une affirmation identitaire, mais d’une revendication collective : mon père, ma mère, mes frères et sœurs, tous ceux qui sont unis par une condition commune, un adversaire commun – le pouvoir blanc – et une lutte commune – la lutte décoloniale -. Tous ceux là existent. »

Écouter l’intervention de Louisa Yousfi

Lire > L’universalisme, une notion dépassée ?

Le Pir est une organisation « qui suscite énormément d’interrogations » , concède d’entrée Houria Bouteldja, consciente que beaucoup d’antiracistes se sentent exclus par la rhétorique qu’elle a contribué à développer. « Ce n’est pas un nouvel esprit de revanche, tente-t-elle de rassurer, mais une volonté de transformer le monde pour s’y sentir bien. »

Illustration - Les Indigènes de la République dans une « lutte des races sociales »

Après avoir d’ailleurs averti que ses propos n’engageaient pas les intervenantes programmées après son discours introductif, elle reprend deux expressions du « vocabulaire propre » que le Pir est fier d’avoir « inventé ».

Elle fait une brève mention du « philosémitisme d’État» , que le Pir dénonçait lors de la manifestation antiraciste du 21 mars, ce qui lui a vallu un désaveu musclé du Mrap, que le Pir ne comptait pourtant pas parmi ses (nombreux) ennemis.

Le Mrap jugeait « indigne » et « insupportable » la « hiérarchisation des indignations » qui alimente selon l’organisation «  la thèse antisémite d’une mainmise de leur part sur l’appareil d’État » .

Le philosémitisme, selon Houria Bouteldja, est une forme subtile de l’antisémitisme.

Lire l’extrait de son intervention à Oslo, le 3 mars 2015 :

«Si l’on est clairement antiraciste et qu’on s’inquiète de la montée de l’extrême droite qui va viser prioritairement les populations des quartiers et qu’on s’inquiète du sort des Juifs devenus cibles de groupes terroristes, il faut avoir le courage de s’attaquer aux formes actuelles du racisme d’État : islamophobie, négrophobie et rromophobie et s’attaquer au philosémitisme d’État qui est une forme subtile et sophistiquée de l’antisémitisme de l’État-Nation.»

Il existe aussi en France, assure-t-elle, « une lutte des races sociales » dans laquelle les Indigènes doivent s’inscrire pour percer le plafond de verre. « Le mot fait peur et pourtant il n’y a rien de plus banal. [la lutte des races sociales] structure notre quotidien. »

Lire un extrait plus large :

La manifestation des résistances des races sociales est partout, dans la lutte des foyers Sonacotra ; des sans-papiers ; dans la lutte contre la double peine ; du CCIF contre l’islamophobie ; d’une école pour toutes et tous ; dans la lutte contre les crimes policiers ; dans les manifestations contre les bombardements à Gaza (…), dans le rassemblement annuel des musulmans d’Europe au Bourget, qui est une expression de la résistance culturelle des musulmans ; dans le succès de Tarik Ramadan et dans l’attention que la jeunesse musulmane lui accorde après vingt ans alors qu’elle se désintéresse massivement des organisations politiques traditionnelles ; dans la mobilisation contre Exibit B… Mais la lutte des races sociales est aussi chez celles et ceux qui ont tenu à exprimer alors même qu’ils condamnaient les attentats qu’ils n’étaient pas Charlie.

Les luttes des races sociales transforment la France et sont à mettre au crédit des luttes sociales qui rendent meilleure la vie de tous.

Mais parfois ces luttes des races sociales sont ambivalentes, surprenantes ou déroutantes. Par exemple, quand des musulmans vont offrir des fleurs aux passants pour leur expliquer que l’Islam c’est bien. C’est une manifestation de la résistance indigène, certes très naïve et défensive, mais s’en est une et il faut savoir la reconnaître. Quand des noirs s’évertuent ) recenser toutes les inventions ou découvertes que l’on doit à des Africains pour tenter de convaincre qu’ils existent et qu’ils sont capables d’inventer, c’est une réponse naïve, mais une réponse quand même au mépris négrophobe et au déni de civilisation qui est fait au peuple africain depuis 500 ans.

Autre exemple : faire campagne contre le PCF ou le PS et soutenir la droite pour se venger des premiers. Le basculement de nombreux militants des quartiers populaires vers la droite pour punir la gauche et faire tomber des mairies socialistes et communistes, c’est une des dimensions de la lutte des races sociales. Se libérer de la gauche paternaliste est un acte de résistance indigène ambivalent, menant très sûrement à des impasses. Mais il faut aussi savoir reconnaître la lutte des races sociale.

Enfin, même l’action des traîtres comme Rachida Dati, Malek Boutih ou Rama Yade, c’est aussi une manifestation de la lutte des races sociales. Leur ambition dévorante, leur ascension telle des beaux amis de l’immigration qui nécessite de nous piétiner pour réussir est une forme de manifestation de la lutte individuelle et égoïste des races sociales.

Le pire coexiste avec le meilleur, juge-t-elle, au sein de ce corps social racialisé. Elle pense aux auteurs des attentats de janvier. « Une dimension carrément laide et effroyable » de la lutte des races sociales. Le combat politique doit s’imposer comme une alternative digne aux impasses auxquelles conduit le « système racial » , affirme Houria Bouteldja, citant James Baldwin : « Qu’adviendra-t-il de notre beauté ? »

Une inquiétude sur la capacité des « Indigènes » à rester pacifiques et dignes dans leur lutte émancipatrice.

Illustration - Les Indigènes de la République dans une « lutte des races sociales »

Soral, « petit facho »

Le Pir se sent à sa place à la marge du « champ politique blanc », dont tous les partis « sont à un degré ou à un autre eurocentriques et pensent à travers les intérêts des classes moyennes blanches ou de prolétariat blanc. Il participent tous – même involontairement – de l’exclusion politique des postcolonisés et des habitants des quartiers » . Houria Bouteldja se dit d’ailleurs « fière d’avoir survécu sans jamais avoir fait allégeance à la gauche politique française. Ni même à la gauche radicale » , alliée du Pir sur de nombreux terrains de lutte. « C’est avec eux et contre eux que nous nous battons » , lance-t-elle.

Elle tire enfin au clair sa vision d’une autre organisation à la marge du champ politique, engagée comme le Pir sur les questions identitaires. Alain Soral, pamphlétaire antisémite et d’extrême droite, et son « Égalités et réconciliation » sont timidement hués par la foule, plus prompte à huer Philippe Val, Caroline Fourest et Alain Finkelkraut.

Sans dire son nom, elle fait projeter la photo de sa « quenelle » au mémorial de la Shoah, avant de dénoncer « les petits fachos [qui tentent] de nous inoculer le poison de la haine »

Houria Bouteldja à propos d’Alain Soral

Illustration - Les Indigènes de la République dans une « lutte des races sociales » - Bourse du travail de Saint-Denis, vendredi 8 mai 2015. EM.

Société
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