Elisabeth Badinter : La libérale postcoloniale

Ingrid Merckx  • 10 juin 2015 abonné·es
Elisabeth Badinter : La libérale postcoloniale
© Photo : FEFERBERG/AFP

«Je ne pardonne pas à la gauche d’avoir abandonné la laïcité », s’écrie Élisabeth Badinter dans Marianne, le 3 février. Trois semaines après les attentats, l’hebdomadaire consacre un hors-série à la laïcité, avec des textes historiques et des inédits, dont un entretien avec la philosophe. Entre Clemenceau et Hugo, la marraine de la crèche Baby-Loup se voit sacrée prêtresse de la laïcité. « Foulard islamique : “Profs, ne capitulons pas !” », avait-elle déjà lancé en 1989 dans un appel à Lionel Jospin signé par Régis Debray, mais aussi Alain Finkielkraut. Cette volonté d’exclure des établissements les élèves portant un signe religieux a donné ses lettres de noblesse à une laïcité que le sociologue Jean Baubérot dit « identitaire ». « Le complexe de culpabilité face à des populations symbolisant les anciens colonisés a été le plus fort dans cette génération de socialistes, qui ont ainsi favorisé, dans leurs propres rangs, la montée du communautarisme, cette idée que tous les rituels culturels ou religieux, y compris les plus intégristes, sont respectables et doivent être respectés », précise aujourd’hui Élisabeth Badinter. Au journaliste suisse qui lui demande ( le Matin, septembre 2013) : « Vous préférez que les femmes musulmanes se cachent à la maison et reproduisent ce que vous dénoncez dans vos ouvrages sur l’égalité ? » Elle répond : « Qu’elle restent à la maison ! Elles sont déjà enfermées dans leur vêtement. »

« Élisabeth Badinter a bâti sa réputation** sur le succès de* l’Amour en plus (1980), mais elle n’a jamais fait partie du mouvement féministe, tranche la sociologue Christine Delphy. D’ailleurs, elle défend surtout les hommes parce qu’il manque une patte à leur chromosome, comme elle l’explique dans XY. De l’identité masculine.   » Voir, dans le débat sur la prostitution, son opposition à la pénalisation du client, au motif que « l’État n’a pas à légiférer sur la sexualité des individus ». « Le slogan “Mon corps m’appartient ” a été perverti, estime Christine Delphy : Élisabeth Badinter défend le corps comme un objet, un patrimoine dissocié de l’esprit. C’est une libérale en position de domination qui fait fi de tout rapport de force. Sa défense de DSK dans l’affaire du Sofitel de New York était révélatrice de ce réflexe de classe. » Son livre le Conflit. La femme et la mère atteste aussi de l’imperméabilité d’Élisabeth Badinter à l’anti-productivisme, analysaient Cécile Duflot et Corinne Morel-Darleux dans Politis en 2010, et à un féminisme post-beauvoirien qui, nourri d’écologie politique, tente de concilier culture et nature, esprit et corps, femme et mère, travail et enfants… Pour Christine Delphy, il faut prendre garde au vernis des Lumières dont la philosophe pare ses discours. « Sa position anti-religieuse vient surtout masquer un sentiment anti-arabe hérité du colonialisme. » Dans le Retour de la race. Contre les statistiques ethniques, Élisabeth Badinter défend une République aveugle aux différences. Une et indivisible, comme l’Église. Une République des ressemblances. Mais ressemblant à qui ?

Publié dans le dossier
Enquête sur les réacs de gauche
Temps de lecture : 3 minutes