La crise financière à venir

le marché des dérivés dépasse les 710 000 milliards de dollars.

Jean Gadrey  • 17 juin 2015 abonné·es

Il n’est pas dans les habitudes du Fonds monétaire international (FMI) de publier des alertes sur l’intensification des risques qui pèsent sur la finance mondiale, mais c’est pourtant le sens de son dernier rapport « sur la stabilité financière dans le monde »(1), où l’on trouve ce résumé : « Les risques qui pèsent sur la stabilité financière s’accentuent et basculent  […], les retombées négatives des chocs récents  […] touchent des secteurs et des économies qui accusaient déjà certaines vulnérabilités », compte tenu notamment de « la persistance de la prise de risques financiers et  […] de la quête du rendement ». Le FMI craint par ailleurs les conséquences du « risque évident de relèvement des taux d’intérêt aux États-Unis ».

Le FMI ne dit rien en revanche du gonflement extravagant de la bulle boursière mondiale actuelle, dont les principaux indices dépassent nettement leurs niveaux de 2007, de New York, où le Dow Jones est à 18 000 points contre un maximum de 14 000 fin 2007, jusqu’à Shanghai, qui retrouve le niveau de cette époque en ayant multiplié son cours par trois en un an, en passant par Londres, à un niveau supérieur de 30 % à ses records de 2007.

Le FMI ne dit rien non plus des faillites ou risques de faillites bancaires en Autriche, en Allemagne, en Russie où « un quart des banques sont au bord de l’asphyxie » ( les Échos du 1er mars), en Italie où une crise bancaire semble proche. Il ne dit rien ou presque de la surabondance de liquidités déversées sans contrepartie par les banques centrales de tous les pays riches sans effet notable sur l’économie. Il évoque certes une montée des risques systémiques, sans mentionner que le marché des produits dérivés dépasse les 710 000  milliards de dollars, soit l’équivalent de dix fois le PIB mondial, et sans citer le trading à haute fréquence, presque inconnu avant 2008 et qui représente désormais la moitié des transactions…

Selon Robert Shiller, spécialiste des bulles spéculatives, le rapport entre le cours boursier des actions et le bénéfice par action n’a dépassé le niveau de 25 que trois fois depuis 1881 : en 1929, en 1999-2000 et en 2007, événements suivis à chaque fois par un énorme éclatement de la bulle. Ce rapport atteint 27 à la bourse de New York. Ajoutons à ces indices convergents le retour de prêts à hauts risques auprès de ménages insolvables aux États-Unis. Ou encore, à l’autre bout du monde, le niveau extrême des dettes privées en Chine. Les dettes privées « exubérantes » sont l’un des meilleurs prédicteurs d’une crise à venir. Or elles sont passées en Chine de 100 % du PIB en 2000 à 200 % en 2013, nettement plus qu’aux États-Unis (150 %).

Alors quand, où et comment cette très probable grande crise financière va-t-elle démarrer ? « Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous ? » (Bérénice à Titus, acte IV, scène 5). Nul ne le sait, mais ce ne sont pas les déclencheurs qui manquent. « Avis de turbulences », titrait le Monde du 12 juin. Ce sera pire que des turbulences, pire pour les victimes, pire pour l’écologie, pire en termes politiques, sauf si cela pouvait être l’occasion de faire ce qui n’a pas été réalisé en 2008-2009, ni depuis : arraisonner la finance.

(1) www.imf.org/external/ns/loe/cs.aspx?id=4

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