« La Revue du crieur » : Une nouvelle voix

Mediapart et La Découverte lancent une revue avec un point de vue critique sur les idées et la culture.

Olivier Doubre  • 24 juin 2015 abonné·es
« La Revue du crieur » : Une nouvelle voix
La Revue du crieur , n° 1, juin 2015, Mediapart/La Découverte, 160 p., 15 euros.

Disparu il y a quelques semaines, François Maspero avait choisi pour figurine (on ne disait pas logo alors) identifiant sa maison d’édition un crieur de journaux. Un personnage renvoyant à l’imaginaire de la rue, de la gouaille du populo, des « grands boulevards » chantés par Yves Montand, avec leurs « jours de colère qui font sortir le populaire »

Héritière des éditions Maspero, La Découverte marquera sa fidélité à cette histoire éditoriale – synonyme depuis les années 1950 de résistance à la pensée dominante et de diffusion d’idées (révolutionnaires) – en reprenant le fameux crieur. C’est aussi en hommage à l’éditeur que Mediapart a choisi un logo quasi identique, le petit personnage cette fois coiffé d’une casquette et un brin pixélisé, média numérique oblige ? Hugues Jallon et Edwy Plenel, les directeurs des deux entités, revendiquent aujourd’hui, dans leur édito de présentation du premier numéro de la Revue du crieur, l’héritage de François Maspero et de son « œuvre-vie », marquée par l’engagement et le « refus des conformismes et des clientélismes, des indifférences et des complaisances ». Ce crieur est donc « une belle figure qui incarne l’esprit démocratique attaché à la presse et au livre ». Mais aussi l’expression d’un désir de sens face au monde qui nous entoure, voire d’un besoin de dénoncer, de « gueuler » contre celui-ci.

La Revue du crieur se veut l’organe d’un « point de vue critique » et d’abord un lieu de publication d’enquêtes « sur les idées et la culture ». À la fois « mook » et revue – c’est aussi son originalité –, elle réunit journalistes et chercheurs, la plupart engagés dans les « humanités critiques », artistes ou écrivains qui produisent des articles exigeants, d’une lecture agréable, ni trop longs (comme dans certaines publications universitaires) ni trop courts (comme beaucoup d’articles de journaux). Avec des sujets véritablement divers, inattendus pour certains. Et d’abord deux enquêtes bienvenues. L’une sur « la petite usine de Michel Onfray », où le journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis explore les célèbres universités populaires du philosophe médiatique en Normandie, mais aussi la bouillie intellectuelle, de plus en plus réactionnaire, que constituent ses œuvres, relues et décortiquées avec soin [^2]. L’autre, signée Ludivine Bantigny et Julien Théry-Astruc, à charge contre Marcel Gauchet, influent éditeur et historien, habituellement présenté comme un de nos « grands » intellectuels « de gauche », en fait figure de proue du « consensus conservateur » .

Mais cette livraison ne se limite pas au champ intellectuel puisqu’on y trouve des articles sur Youtube (Olivier Alexandre), Google et la presse (Dan Israel), les parcs d’engraissement animal (Mishka Henner), « ce que fait l’argent à l’art » (Marion Rousset) ou, plus politique, une passionnante analyse des mutations « postfascistes » en cours à la droite extrême, loin du simple « retour des années 1930 » (Enzo Traverso). Un premier numéro qui fait espérer une longue vie pour ce nouveau crieur !

[^2]: Sur le cas Onfray, avec un point de vue légèrement différent, voir Politis n° 1357 du 11 juin 2015.

Idées
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