Le passé parle au présent

Arte met en place sur son site un catalogue du cinéma muet. Une leçon d’histoire du septième art et une véritable mission de service public.

Jean-Claude Renard  • 3 juin 2015 abonné·es
Le passé parle au présent
© Photo : Ard Degeto/Lobster Films

L’Inhumaine, de Marcel L’Herbier ; la Peste à Florence, d’Otto Rippert ; Berlin, la cité des millions, d’Adolf Trotz ; la Chronique de Grieshuus, d’Arthur von Gerlach. Tels étaient les quatre longs métrages diffusés sur Arte en mai, au cours d’un cycle consacré au cinéma muet. Un cycle exceptionnel, à regarder les grilles des programmes en général. Le plus souvent, en matière de muet, le téléspectateur doit se contenter des premiers films de Chaplin. Et puis c’est tout. Par ailleurs, depuis peu, la chaîne franco-allemande enrichit son offre en proposant sur son site Web (cinema.arte.tv) des films disponibles gratuitement. Cette plate-forme s’est ouverte avec des œuvres majeures de l’histoire du septième art : Intolérance (1916), de David W. Griffith ; le Dernier des hommes (1924), de Friedrich Wilhelm Murnau ; le Cuirassé Potemkine (1925), de Sergueï Eisenstein ; ou encore le Mécano de la General (1926), de Buster Keaton.

Tous les mois, Arte entend ajouter quatre œuvres au catalogue, originaires de quatre pays différents. Suivront ainsi la Charrette fantôme (1921), de Victor Sjöström, la Revue des revues (1927), de Joe Francis, Tempête sur l’Asie (1929), de Vsevolod Poudovkine, Michael (1925), de Carl Dreyer… La chaîne a obtenu les droits pour une diffusion valable une année sur son site. Chaque film, restauré et bénéficiant d’une nouvelle composition musicale, s’accompagne d’une fiche technique sur la conservation et la restauration de l’œuvre, d’une autre sur le contexte de sa réalisation, d’une biographie du metteur en scène, voire du scénariste, et d’une analyse d’une scène emblématique (la scène des escaliers dans Potemkine, celle du canon récalcitrant dans le Mécano ou la chute sociale dans le Dernier des hommes). Bref, une véritable invitation à une leçon d’histoire du cinéma muet. Au reste, cette politique éditoriale n’est pas nouvelle sur la chaîne. Elle a été instaurée dès 1994, avec la volonté de rendre accessible des films du patrimoine et des perles rares, qu’il s’agisse de fictions, de documentaires ou de films d’animation. Des diffusions qui n’imposent pas une colorisation des œuvres, suivant l’idée répandue que le public ne suivrait pas (dans ce sens, si quelques scènes étaient colorées dans l’Inhumaine, de Marcel L’Herbier, elles répondaient aux vœux exprimés par le réalisateur de son vivant). Surtout, on peut s’étonner qu’il n’y ait guère qu’Arte pour programmer régulièrement des films des premières décennies du cinéma (il fut un temps où la case « Cinéma de minuit », sur France 3, en proposait un peu, mais ça, c’était avant). Pourquoi ? Toujours ce postulat des programmateurs que les téléspectateurs ne vont ni au noir et blanc ni au muet. Les audiences leur donneraient raison, « à l’exception peut-être des films de Chaplin mettant en scène le personnage du vagabond ou ceux de Buster Keaton, dont la poésie universelle traverse le temps et continue d’enchanter plusieurs générations de spectateurs », relève Olivier Père, directeur de Cinéma Arte France.

**Cependant, « il ne s’agit pas* forcément de gagner un public, mais d’offrir aux téléspectateurs qui aiment le cinéma la possibilité de revoir ou de découvrir des œuvres essentielles de l’histoire du cinéma, qui ont participé à l’élaboration d’un langage et d’une poésie visuelle. La curiosité des cinéphiles ne doit pas se limiter aux films sonores et encore moins aux productions récentes. On ne gagne peut-être pas du public, mais on l’enrichit ».* N’est-ce pas là une mission de service public ? Assurément, répond Olivier Père : « Cela permet aussi de relayer sur le petit écran le formidable travail effectué par les cinémathèques, les archives et les sociétés de production européennes qui participent à la restauration de leur catalogue ou de leurs archives. Ces films font mentir l’idée reçue d’un cinéma poussiéreux et ennuyeux. Leur modernité est souvent éclatante. » Le montage dans Potemkine ou l’inventivité trublionne chez Keaton en sont deux exemples.

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