Les frondeurs esquissent « l’après-Poitiers »

Battue lors du vote des militants, l’aile gauche n’entend pas « rentrer dans le rang » pour autant. Plusieurs de ses animateurs sont tentés d’avoir « un pied dedans, un pied dehors ».

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 10 juin 2015 abonné·es
Les frondeurs esquissent « l’après-Poitiers »
© Photo : AFP PHOTO / MEHDI FEDOUACH

Qu’allait-il se passer au congrès du PS, puisque tout était joué d’avance ? Amputé de sa fameuse « nuit des résolutions », libéré du suspense de savoir si le parti réussirait sa légendaire « synthèse », dénué, donc, de tout enjeu politique, le congrès du PS, organisé le week-end dernier à Poitiers, s’est résumé à presque rien : une guerre d’images. Avec, d’un côté, les représentants de la motion A, pro-gouvernementale, bien décidés à se montrer triomphants en dépit de leur victoire à la Pyrrhus ( Politis n° 1355). De l’autre, les représentants de la motion B, lâchés par la grande majorité des militants, qui ont porté à plus de 70 % Jean-Christophe Cambadélis à la tête du parti, mais eux aussi résolument décidés à ne pas désespérer Billancourt.

Ces derniers, face à quelque 300 délégués et militants de leur motion réunis à huis clos vendredi soir, se sont évertués à remonter le moral des troupes. « Il faut que vous arboriez un large sourire, leur a lancé l’eurodéputé Emmanuel Maurel. Il faut être fiers de ce qu’on a fait : ne les laissons pas dire qu’on va “rentrer dans le rang”. On n’a pas vocation à entrer dans les ordres, et on ne nous donne pas d’ordre. » Et de fait, à la tribune du congrès, pendant trois jours, les discours se sont succédé comme un jeu de ping-pong entre frères ennemis de la motion A et de la motion B. Jérôme Guedj taclant Jean-Marie Le Guen, qui venait de riposter à Emmanuel Maurel, lequel avait dénoncé une « distorsion spectaculaire entre le dire et le faire » dans les textes et discours du PS et les déclarations ministérielles. Ou Gérard Collomb glosant sur une citation de Jaurès, en réplique à Benoît Hamon qui venait de se référer au même Jaurès pour critiquer la tentative de théorisation de l’action du gouvernement par Jean-Marie Le Guen…

L’idée lancée par Benoît Hamon, devant les signataires de la motion B, de poursuivre le combat « un pied dedans, un pied dehors », a des précédents. La Gauche socialiste (1988-2002) pratiquait ainsi avec un « dehors » surtout constitué des associations, syndicats et mutuelles émanant de ses rangs. En 2004, Jean-Luc Mélenchon, qui en avait été le cofondateur, crée l’association Pour la République sociale (PRS), rassemblant des socialistes encartés ou non. C’est sous cette enseigne qu’en 2005, après le vote interne perdu, il fait campagne contre le traité constitutionnel européen, en opposition au PS.

Parallèlement, il regroupe ses partisans au sein du PS dans une sensibilité baptisée « Trait d’union », sous-entendu entre le PS et le reste de la gauche, jusqu’à la création du Parti de gauche, fin 2008.

Tout en acceptant le résultat du vote, ceux qu’on appelle les frondeurs ont continué à faire entendre leur petite musique, refusant d’approuver les deux textes soumis par la direction du parti au vote des congressistes (lire ci-contre), autant par désaccord que pour montrer, comme l’a signifié à la tribune Laurent Baumel, dimanche matin, sous les huées et les applaudissements, qu’ « il reste des socialistes qui vont continuer à se battre dans les semaines et les mois qui viennent pour rectifier le cours [du] quinquennat ». La veille, à midi, le Premier ministre, fendant la foule sur fond de musique techno pour monter sur l’estrade, avait fait ovationner François Hollande ( « un grand président de la République » ) et affiché son intention de poursuivre les réformes. Revenant sur ses affirmations de l’an dernier, il avait proclamé que non, « le PS n’est pas mort », mais, dans son PS revu à la sauce Blair, « être de gauche, c’est ne pas opposer les droits des salariés et la performance des entreprise s ». Et il avait espéré une victoire des socialistes « au Portugal et en Espagne ».

Si la salle, par ses applaudissements, avait semblé acquiescer à ces propos, quelques heures plus tard, « l’anti-Manuel Valls » du parti, Emmanuel Maurel, réussissait lui aussi à enflammer le public… Mais cette fois, sur le soutien à Syriza, l’augmentation des salaires et la résistance à « la mue social-libérale » du « parti de Blum et de Jaurès »  : « Vous nous trouvez ici pour empêcher ce qui nous conduira à la défaite et, j’ose le dire, au déshonneur. » Une manière de signifier que l’aile gauche ne baisserait pas sa garde après Poitiers…

Toutefois, ce n’est pas dans la capitale picto-charentaise que s’est dessiné le plus nettement l’après-congrès, le week-end dernier. Dimanche, c’est dans les pages du JDD que l’ancien ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, s’alarmait avec le banquier Mathieu Pigasse du « désastre » de la politique hollandaise. Vendredi, c’est sur le site du Monde que l’ancien eurodéputé socialiste (chroniqueur économique à Politis ) Liêm Hoang-Ngoc et le politologue Philippe Marlière, fondateurs du club Les socialistes affligés, publiaient une tribune appelant les socialistes à quitter le parti. « C’était le congrès de la dernière chance, le PS est mort. Si les frondeurs sont cohérents, ils doivent tirer les leçons de l’échec de la fronde, partir du PS pour ne pas devenir les cautions de François Hollande, et commencer à recomposer la gauche », estimait Liêm Hoang-Ngoc depuis Paris, où il assistait à la réunion du Mouvement pour la 6e République initié par Jean-Luc Mélenchon. Et d’ajouter : « C’est maintenant que les frondeurs doivent soutenir les socialistes dissidents qui se présenteront avec EELV et le Front de gauche sur les listes de Rhône-Alpes ou de Midi-Pyrénées. »

Le même jour, le député frondeur Pouria Amirshahi, lui aussi loin de Poitiers, envoyait une adresse à ses « chères et chers camarades » pour les enjoindre à créer « un mouvement national citoyen de type nouveau », rassemblant la société civile et les forces progressistes de gauche. Avant de préciser dans une tribune les objectifs de ce « mouvement commun [^2] ». Cap vers un Syriza ou un Podemos à la française ? Si la perspective ne semblait guère emballer l’ensemble de l’aile gauche du PS présente à Poitiers, Benoît Hamon l’appelait en revanche lui aussi de ses vœux. « Il faut passer du courant au mouvement, estimait le député de Trappes devant l’assemblée générale à huis clos de la motion B. S’il faut en passer pour un moment par un pied dedans, un pied dehors [du PS], il faut le faire. » Et de tendre la main à « EELV et au Parti communiste », ainsi qu’au réseau associatif et de l’économie sociale et solidaire. Reste à savoir pourquoi ce qui n’a pas fonctionné jusqu’alors (en témoigne la situation compliquée du Front de gauche) aurait plus de chance de réussir maintenant. « On n’a jamais vraiment essayé, faisait valoir Benoît Hamon sans plus de précisions, et si on n’y arrive pas, ça va mal finir. »

[^2]: À lire sur www.pouriaamirshahi.fr

Politique
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