Pays-Basque : Une justice de transition

Sur le modèle sud-africain ou nord-irlandais, une conférence pour la paix s’est tenue à l’Assemblée nationale.

Olivier Doubre  • 17 juin 2015 abonné·es
Pays-Basque : Une justice de transition
© Photo : Gara / Getty Images / AFP

Mais où étaient les États ? C’est la question que l’on se posait en sortant de l’émouvante et très riche Conférence internationale humanitaire pour la paix au Pays basque, qui s’est tenue le 11 juin à l’Assemblée nationale. Salle comble, en présence de nombreuses personnalités : Cécile Duflot (EELV), Jean-Christophe Lagarde (UDI), des parlementaires et des élus locaux du Pays basque français, Michel Tubiana (LDH), Louis Joinet (Cour de cassation), Pierre Joxe… Mais aussi des juristes, militants associatifs, victimes d’attentats ou anciens prisonniers – tel Gabi Mouesca, ex-membre d’Iparretarrak, qui, après 17 ans de prison, devint président de l’Observatoire international des prisons. Et surtout des Britanniques, des Sud-Africains et des Irlandais du Nord, venus raconter l’élaboration du processus de paix dans leur pays.

Il s’agissait d’engager le Pays basque sur la voie de la paix, après 50 ans d’un conflit armé sanglant – le dernier de l’Europe occidentale. D’un côté, exécutions ciblées, bombes aveugles, enlèvements ou braquages de l’ETA. De l’autre, féroce répression de Madrid, qui n’hésita pas à employer la torture. Les gouvernements de Felipe González firent même œuvrer des mercenaires d’extrême droite, ou des policiers déguisés, dans les sinistres Groupes antiterroristes de libération, enlevant et exécutant des militants, parfois des membres de leur famille. Y compris en France. Comment dépasser un demi-siècle de violences, près de 1 200 morts et plusieurs milliers de blessés, des dizaines de milliers d’arrestations ? Ancien secrétaire général d’Interpol, le Britannique Raymond Kendall l’a rappelé : « L’ETA a déposé les armes en 2011, mais personne ne veut les prendre ! Le plus difficile de notre entreprise, c’est que les deux États ne s’impliquent pas… » En dépit d’une première conférence internationale en octobre 2011, dite d’Aiete (à San Sebastian), au lendemain de la décision de l’ETA et impulsée par six personnalités, dont l’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, et Gerry Adams, le leader républicain nord-irlandais ; puis d’une seconde, à Bayonne, en octobre 2014, où le Groupe de dialogue du Pays basque de France, composé d’élus locaux, de militants indépendantistes ou syndicalistes, a adressé une déclaration au gouvernement français.

Or, côté gouvernemental, ** espagnol et français, aucune réponse. Ancien membre de l’IRA et prisonnier politique, aujourd’hui député républicain à Belfast et dirigeant du Sinn Féin, Gerry Kelly a rappelé le rôle fondamental des prisonniers dans le processus de paix en Irlande du Nord, visités alors par des juristes et des politiques sud-africains : « Jamais les militants en liberté n’abandonnent leurs prisonniers. » Et le geste humanitaire de les rapprocher de leur famille fut, selon lui, un « premier signe crucial d’apaisement ». Or Madrid continue, par une politique délibérée, d’emprisonner la plupart des Basques loin de chez eux. Tout comme Paris. « Devant le traitement inhumain fait à ces prisonniers, de nombreux juristes ont parlé de “peine de mort lente”, rapporte Gabi Mouesca. Il ne s’agit pas de justice, mais de vengeance, alors que le Collectif des prisonniers politiques basques [en France] a exprimé sa totale adhésion au processus engagé à Aiete et à la décision d’ETA de 2011 ».

Sachant que les gouvernements français et espagnol n’ont pas abandonné « une posture guerrière qui insulte l’histoire et l’avenir du Pays basque ». Celui d’une paix juste et durable, résultat d’une solution politique. Précédant la lecture par le magistrat Serge Portelli de la Déclaration finale [^2], Michel Tubiana a réaffirmé le « pari de démocrate » de cette conférence, « étape sur le long chemin de la paix », qui passe par « l’écoute de toutes les souffrances, dont aucune ne saurait être instrumentalisée ». Non sans interpeller les gouvernements : « Il pèse sur vous une lourde responsabilité. Quand on veut vraiment faire cesser la violence, il faut en finir avec l’idée de mettre à bas l’adversaire… »

[^2]: On la trouvera sur www.ldh-france.org

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

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