Droits des enfants roms : l’État condamné

Des associations de défense des droits humains ont organisé un tribunal d’opinion à l’université Paris-8 à Saint-Denis pour alerter sur les violations de l’Etat à l’égard des droits des enfants roms.

Lauriane Clément  • 1 juillet 2015
Partager :
Droits des enfants roms : l’État condamné
© Photo: ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Ça n’est pas une condamnation officielle. Mais le symbole est de taille : le 27 juin, s’est tenu à l’université Paris-8 à Saint-Denis le premier tribunal d’opinion sur les droits des enfants roms. Des associations de défense des droits humains, dont le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Défense des enfants international (DEI-France) et le Réseau éducation sans frontières (RESF) ont ainsi organisé un procès symbolique pour confronter le gouvernement à ses défaillances sur la protection de l’enfance et interpeler l’opinion publique. « C’était un besoin ressenti par tous les acteurs associatifs, on a fait face à tellement de mauvaise foi et de lâchetés qu’on rêvait que le gouvernement réponde de ses actes » , explique Laurent Ott, de l’association Intermèdes Robinson qui a réalisé l’enquête sur laquelle s’est appuyé le tribunal. Le choix de l’université Paris-8 à Saint Denis était tout aussi symbolique, car ce territoire a connu de nombreuses expulsions de campements roms.

Sous l’œil de la Cour, constituée de juristes spécialistes des droits de l’enfant, plusieurs experts, comme les assesseurs Bernard de Vos et Adam Weiss, et des personnes d’origine rom concernées se sont relayés à la barre pour témoigner. Leurs récits se sont recoupés autour de leurs conditions de logement, de scolarisation, de santé et sur les dispositifs de protection de l’enfance. « Cela a permis de construire un faisceau d’indices suffisamment graves et concordants pour l’accusation », commente Simone Gaboriau, la présidente de ce tribunal citoyen.

Les 300 personnes venues assister aux débats ont été marquées par le témoignage de Denamarca, une mère expulsée huit fois en cinq ans avec ses enfants. Elle a lutté pour les scolariser à l’école de Bièvres (Essonne), malgré la réaction du maire qui lui a assené lors de son expulsion :
« Et surtout, tu ne ramènes plus jamais tes enfants à l’école ! »

Principal problème : les expulsions

Laura, une jeune Rom, a aussi raconté son histoire. Elle a dû changer de logement social en début d’année, alors que son fils était scolarisé dans une école à proximité. Il lui a fallu deux mois pour réussir à l’inscrire dans un nouvel établissement. « Ces enfants victimes d’expulsion doivent changer 4 ou 5 fois d’école chaque année. Toutes ces coupures interrompent les processus éducatifs, les enseignants évoquent des débuts de réinsertion mis à mal » , s’indigne Simone Gaboriau.

« Les expulsions sont inefficaces, il faut un vrai accompagnement social » , ajoute Manon Filloneau, du Collectif national des droits de l’homme Romeurope. « S’il n’y a pas de possibilités de relogement dans l’immédiat, il est préférable de stabiliser cette population dans ces camps dans la dignité. »

Insécurité et insalubrité

Les associations dénoncent également l’absence de sécurité et de salubrité des bidonvilles, des nuisances engendrées par le refus de certains élus de permettre aux occupants un accès à l’eau et à la collecte des ordures. « Il y a des pratiques d’exclusions permanentes qui révèlent la banalisation d’un racisme ordinaire. Dès qu’on met l’étiquette ethnique ‘Rom’, d’un seul coup un enfant cesse d’être un enfant et une famille d’en être une » , s’inquiète Laurent Ott.

L’État n’est pas venu à son procès

Une avocate commise d’office, Me Julie Bonnier, a tenté de défendre le gouvernement, en son absence : car la convocation des associations à ce premier tribunal sont restées sans réponses. Verdict : l’Etat et les collectivités ont été jugés coupables de ne pas mettre en œuvre le droit au logement et de ne pas respecter les conventions internationales ratifiées par la France.

Le tribunal lui a laissé un an de délai pour « prendre toutes les mesures de nature à faire cesser les infractions » . Parmi celles-ci, mettre un terme aux expulsions forcées, sécuriser les terrains en matière sanitaire et assurer aux enfants roms une égalité d’accès à l’éducation et à la culture.

« On aurait pu faire une condamnation symbolique, mais on a préféré que ce soit quelque chose de faisable. Nous ne demandons que le droit commun », justifie Simone Gaboriau. La magistrate est déterminée à venir frapper à la porte de Matignon et de Beauvau tout au long de l’année pour vérifier l’exécution de ces mesures. Bilan dans un an.

Société Police / Justice
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza
Palestine 12 novembre 2025 abonné·es

Dans 56 journaux télévisés, moins de 3 minutes sur Gaza

Un mois après le « plan de paix » signé sous l’impulsion de Donald Trump, Benyamin Netanyahou a relancé les bombardements sur Gaza, en violation de l’accord. Depuis trois semaines, les médias français semblent passer sous silence la reprise de l’offensive israélienne.
Par Kamélia Ouaïssa
« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »
Palestine 11 novembre 2025

« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »

Jeudi 6 novembre, le collectif Palestine Action France a perturbé la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris. Des militants se sont fait violemment frapper par des spectateurs. Pour la première fois, une participante prend la parole pour expliquer sa version des faits.
Par Pierre Jequier-Zalc
Déportation de Salah Hammouri : la compagnie aérienne El Al visée pour complicité dans une plainte
Justice 11 novembre 2025 abonné·es

Déportation de Salah Hammouri : la compagnie aérienne El Al visée pour complicité dans une plainte

L’avocat franco-palestinien a déposé plainte pour crimes de déportation, persécution et ségrégation. Parmi les mis en cause, la compagnie aérienne israélienne ayant procédé à sa déportation en décembre 2022.
Par Pauline Migevant