Paradis fiscaux flottants

Des pavillons de complaisance aux catastrophes écologiques : un documentaire édifiant sur le commerce maritime.

Jean-Claude Renard  • 16 juillet 2015 abonné·es
Paradis fiscaux flottants
© **Qui contrôle la mer ?** , mardi 21 juillet, à 20 h 55, sur Arte. Photo : Arte

«L a mer est ton miroir/Tu contemples son âme dans le déroulement infini de sa lame. » Les vers sont de Baudelaire. Mais foin de contemplation. Aujourd’hui, 53 000 navires de commerce se croisent sur les routes de la mondialisation, transportant 8 milliards de marchandises chaque année, soit 90 % du commerce mondial. « Qui contrôle la mer ? », s’interroge le réalisateur, Baudouin Koenig. Et de prendre le pouls du shipping (navigation, de l’anglais ship, bateau), dans un voyage maritime qui va de Londres à Athènes, sans s’épargner d’éclairages historiques, un parcours servi également par des images grandioses, à commencer par le port de Shanghai. Exemple frappant : ouvert en 2005, il gère maintenant 7,6 millions de conteneurs, 20 millions d’ici deux ans, suivant l’expansion de la mondialisation. Sur un bateau comme le Maersk, ce sont 18 000 conteneurs à bord. La focalisation sur le conteneur n’est pas un hasard ; il est l’élément central de la globalisation. Avec sa déshumanisation. On accoste, charge, décharge. Fini le ballet des dockers, la poétique du marin, lui-même devenu un « professionnel maritime global », et la mer un immense champ de boîtes métalliques. Le XXIe siècle est celui d’une « libéralisation heureuse », menée par « une main invisible qui régule le marché et le profit pour le bonheur de tous ». Tel est le credo ravi des armateurs.

Avec ce bémol : la négation des droits fondamentaux des ouvriers, des masses salariales toujours réduites, une privatisation croissante, peu de contrôles sur les conteneurs, un viol des règles de sécurité et de respect de l’environnement. Et surtout, une multiplication des pavillons de complaisance, pour plus de la moitié de la flotte mondiale (Panama, Liberia, Malte, Bahamas, etc.), « véritables paradis fiscaux flottants, selon l’expression de Paul Tourret, de l’Institut supérieur d’économie maritime. « Le port de référence étant devenu celui de l’optimisation fiscale et sociale », permettant aussi aux armateurs d’échapper à leurs responsabilités. Le Prestige, l’Amoco Cadiz, l’Erika  : autant de naufrages et de catastrophes écologiques qui ont révélé les failles du shipping. À ce titre, le procès de l’Erika est exemplaire. À qui demander des comptes ? Il a fallu un an d’instruction pour connaître l’armateur ! Après appel et cassation, le procès a entraîné une première condamnation pénale qui reconnaît un droit à réparation pour atteinte environnementale. « Ce qui fait trembler le monde maritime », dit Alexandre Faro, avocat des parties civiles. À peine trembler.

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