Yannick Jadot : « Le combat doit se mener à toutes les échelles »

Yannick Jadot analyse le rôle de l’échelon national dans les institutions européennes. Un rôle pas toujours progressiste…

Olivier Doubre  • 16 juillet 2015 abonné·es
Yannick Jadot : « Le combat doit se mener à toutes les échelles »
© **Yannick Jadot** est eurodéputé EELV. Photo : Dabkowski/Picture-Alliance/AFP

Ancien responsable de Greenpeace-France, Yannick Jadot s’est engagé en politique lors de la campagne des européennes avec les listes Europe Écologie-Les Verts. Confronté directement au fonctionnement des institutions européennes, il observe les blocages souvent dus à la concurrence entre États (et à leurs égoïsmes), laquelle empêche l’adoption de véritables politiques publiques européennes sur des sujets où se limiter à l’échelon national est insuffisant ou inefficace.

Avec le référendum en Grèce, la nation est apparue tel un espace de résistance démocratique aux diktats néolibéraux. Oublier les nations au nom de la construction européenne n’est-il pas un déni démocratique ?

Yannick Jadot ≥ Je ne pense pas que l’on oublie les nations aujourd’hui. Cela fait même très longtemps qu’elles n’ont pas été autant au cœur de l’Europe. Depuis quelques années, encore plus avec la crise financière, c’est bien l’addition des intérêts nationaux qui guide l’Europe. Et sous la pression des nationalismes, une addition des égoïsmes qui finit par totalement paralyser l’Europe, et non pas trop de fédéralisme. Aujourd’hui, la mise en œuvre de la méthode communautaire, qui repose sur des votes à la majorité (simple ou qualifiée) et permet de faire primer l’intérêt général européen en limitant l’exacerbation des intérêts nationaux, est de plus en plus rare et difficile. Si l’on prend la question de l’euro, ce n’est pas un échec parce que c’est une monnaie commune (comme veut le faire croire le Front national), mais parce que nous avons une monnaie commune à 19 pays, avec 19 fiscalités, 19 systèmes sociaux, etc. Pire, c’est une hiérarchie entre ces 19 intérêts nationaux qui s’installe, où l’économie la plus puissante devient la patronne de l’Europe.

La Grèce n’a-t-elle pas montré pas une voie entre la volonté d’une Europe fédérale des solidarités et la possibilité d’opposition d’une nation démocratique, alors que les extrêmes droites sont en embuscade ?

Bien sûr. Depuis cinq ans et l’accélération de la crise financière, a été promue une politique morale et idéologique de l’économie, avec cette logique de l’austérité qui n’existe dans aucun manuel d’économie. C’est pourquoi je parle d’une politique morale. L’échec de la résolution de la crise est d’abord l’échec de la mutualisation des dettes : c’est Angela Merkel qui, ne suivant que son intérêt national, a reporté tous les premiers plans d’aide à la Grèce en fonction des échéances électorales régionales en Allemagne. Par contre, si j’entends bien cette idée d’espace national de résistance – comme on le voit avec la Grèce –, il ne faut pas perdre de vue que l’Europe est aussi un espace démocratique. Tous les gouvernements des pays européens sont élus. S’il y a un manque criant et honteux de démocratie avec l’Eurogroup, qui ne rend compte devant aucune assemblée, il s’agit d’un problème d’organisation de l’intergouvernementalité au sein de l’UE. Or rien ne figure dans les traités qui empêche l’Europe de devenir progressiste en insistant sur l’environnement, les services publics, une fiscalité commune. Et concernant la nation, je vois qu’en France les gens sont davantage tentés par la nostalgie d’une nation repliée sur elle-même, blanche, catholique, homophobe, que par une volonté de collectif et de solidarité… Que Syriza soit arrivé au pouvoir en Grèce est évidemment une très bonne nouvelle. Mais malheureusement, ce que nous défendons n’est pas majoritaire, ni en Europe ni ici. Le vote grec est un vote… grec. Il doit être pris en compte par le reste de l’Europe, mais en complémentarité des autres légitimités démocratiques européennes. Parce que si, demain, Angela Merkel fait un référendum demandant « les Grecs doivent-ils payer la dette ? », on peut imaginer la réponse…

Aussi, comment articuler des volontés nationales (pas toujours progressistes) et la mise en œuvre de certaines politiques où le seul cadre national est inopérant, comme sur le climat, les OGM ou l’optimisation fiscale ?

Les OGM sont un bon exemple. On avait, il y a encore un an, un cadre européen d’évaluation et d’autorisation des OGM. Mais José Manuel Barroso et les pro-OGM ont expliqué faire un « cadeau » aux peuples en redonnant aux États cette compétence : « Vous allez pouvoir décider sans passer par l’Europe… » Que s’est-il passé ? Avec un marché alimentaire intégré, les États se retrouvent face aux multinationales, Monsanto en tête, plutôt que d’avoir un processus public et démocratique de décision au niveau européen. Cela s’est produit aussi sur la question de l’énergie et dans d’autres domaines. Ainsi, en jouant la carte des intérêts nationaux, on a perdu le meilleur de la transition énergétique européenne, et laissé les États seuls gérer les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, face aux lobbys les plus puissants. Finalement, l’intérêt général collectif est souvent plus présent dans les municipalités, parce que les élus y sont en général plus proches de leurs habitants que des lobbys. Et l’échelle nationale est souvent la plus conservatrice parce que les pays sont davantage en concurrence qu’en concertation. Un dernier exemple : Mittal a réussi à obtenir moult subventions et effacements de dettes fiscales, simplement en mettant les États en concurrence. Alors que si ceux-ci s’étaient rassemblés, ils auraient pesé face à Mittal !

C’est donc bien une question de volonté des politiques nationales. Si, après la Grèce, Podemos et ses alliés venaient à remporter les législatives en Espagne, croiriez-vous à la possibilité d’une dynamique renouant avec une Europe démocratique qui s’est construite sur les solidarités entre nations ?

Certainement. Si demain une majorité progressiste l’emportait en Espagne, cela ferait deux États au sein du Conseil, et ce serait loin d’être négligeable. Notamment face à la collusion entre conservateurs et sociaux-démocrates – qui, entre parenthèses, ont le culot de demander à Tsipras de mettre fin à la corruption et à l’évasion fiscale en Grèce, tout en voulant remettre à sa place ceux qui ont géré ces systèmes-là ! Il faut donc d’abord faire pression sur Hollande pour qu’il ne lâche pas la Grèce face à Merkel. Il reste que tous ces gouvernements, élus par des peuples souverains, se réunissent et définissent des politiques, avec un Parlement européen qui dégage des majorités. Et celles-ci sont de droite ! C’est pourquoi nous sommes en faveur de la proportionnelle partout, car cela oblige à repenser les alliances et les stratégies. Le combat politique doit se mener à toutes les échelles, sans exclusion. Je ne crois pas que la Grèce va parvenir à mettre fin toute seule à l’évasion fiscale. On a besoin de tous les échelons. Ma vision de l’Europe n’est pas celle d’un super-État jacobin qui déciderait la même chose à Salonique, à Bilbao et à Helsinki ; c’est au contraire un espace qui, par les économies d’échelles, les réglementations et les financements, crée des espaces de réappropriation démocratique des territoires. Car derrière les différentes échelles, qui sont autant de niveaux de souveraineté aptes à régler différentes questions, on a évidemment besoin de faire en sorte que les gens soient acteurs dans ce système.

L’échelon national demeure donc un cadre important…

Oui. Mais sans exclure les autres. Cette crise autour de la Grèce alimente tous les nationalismes, qui disent : « L’Europe, c’est insupportable ! On ne veut plus payer pour les autres, salauds de Grecs, salauds de pauvres ! » Si on échoue sur la crise grecque, ce sera une Grèce nationaliste qui en sortira, et qui s’alliera avec d’autres nationalismes, comme la Chine ou la Russie. De même pour les migrants. Dans les années 1990, l’Allemagne a accueilli plus de 300 000 ex-Yougoslaves durant la guerre des Balkans. Et la France, 40 000 boat-people vietnamiens à la fin des années 1970. Il était évident pour tout le monde de devoir les accueillir. Aujourd’hui, sous la pression des nationalismes, les dirigeants européens se déchirent pour qu’un pays accepte d’accueillir quelques centaines de migrants…

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La nation est-elle ringarde ?
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