À propos d’événements considérables…

On a toujours tort de négliger la basse politique. Il arrive qu’elle vous rattrape.

Denis Sieffert  • 2 septembre 2015 abonné·es

Rarement plus qu’au cours de ces derniers jours, nous aurons eu l’impression qu’une comédie politique se jouait devant nos yeux. Au fond, rien de très nouveau, mais il y a des moments comme ça où les ficelles sont un peu trop apparentes. Ce moment particulier où les stratégies personnelles s’étalent au grand jour. Comme si les acteurs étaient fiers de nous montrer ce qu’ils savent faire en matière de manœuvres d’appareil et de manipulation de l’opinion. La palme revient évidemment aux dirigeants socialistes, habiles scénaristes d’un théâtre de marionnettes qui passionne le microcosme mais laisse indifférents la plupart de nos concitoyens. Leur principal fait d’armes ces jours-ci est d’avoir orchestré la démission de François de Rugy et de Jean-Vincent Placé. J’avoue que face à un événement aussi considérable, j’ai d’abord eu envie de passer mon chemin. Il ne me semblait pas que l’aventure de ces deux personnages, tout présidents de groupes parlementaires qu’ils sont, soutenait la concurrence face aux grands désordres du monde.

Puis, je me suis fait expliquer (voir l’article de Michel Soudais, p. 6) que pour petite que parût la manœuvre, elle pouvait ne pas être sans effets sur le paysage politique. Préparée par l’Élysée et la rue de Solférino, elle vise, dit-on, à casser Europe Écologie-Les Verts et à écarter Cécile Duflot de la course à la présidentielle. Le tout complété par l’opération Bennahmias qui vise à gonfler d’importance une nouvelle formation se réclamant de l’écologie, mais tout acquise à François Hollande. On a toujours tort de négliger la basse politique. Il arrive qu’elle vous rattrape. Nous traitons donc cette semaine avec sérieux, quoique sans sympathie excessive, ces manœuvres dont il est encore difficile de mesurer le pouvoir de nuisance. L’autre événement considérable qui a occupé en ce début d’été la chronique politique, c’est évidemment « l’affaire » Macron. Je commence à penser que l’on est très injuste avec le ministre de l’Économie. Il est sans doute plus sincère que la plupart de ses collègues. Il dit ce qu’il pense. Ami du Medef, il est contre les 35 heures et pour le démantèlement du droit du travail, et il l’assume. Ce que ne peut plus faire Manuel Valls, à mesure que l’on se rapproche de l’échéance présidentielle. De nombreux confrères ont bien voulu décrypter pour le vulgum pecus ce qui ressemble là encore à une savante orchestration : en allant très à droite, Macron permet à Valls de se « recentrer ». Cela, à toutes fins utiles, au cas où François Hollande ne serait pas « en situation » de se représenter. C’est sans doute vrai, et passionnant, mais on peine tout de même à apercevoir derrière tout cela les grands enjeux de notre temps.

Où donc sont « les gens » dans cette histoire ? Vingt mois avant la présidentielle, ce petit monde ne pense déjà plus qu’à la course à l’Élysée ! Il y pense surtout de plus en plus ostensiblement. Pierre Rosanvallon note, dans son dernier livre, qu’en France la présidentialisation « est considérée comme une maladie dont il faudrait apprendre à guérir, et non pas comme la première ébauche d’une nouvelle forme de démocratie »  [^2]. Et rien ne laisse supposer que nous soyons sur la voie de la guérison. Cette hyper-prédominance de l’exécutif, qui excite les convoitises et fausse les débats, est d’autant plus décalée que le pouvoir s’est déplacé vers des instances européennes (les mauvaises langues disent « vers l’Allemagne »). La comédie n’en est que plus ridicule.

À La Rochelle, Manuel Valls a tout de même, longuement et avec éloquence, parlé des migrants. Mais il l’a fait en parfaite contradiction avec la politique peu reluisante qui est la sienne depuis des mois dans ce dossier. Comme s’il réagissait aux événements dramatiques des jours précédents. Comme s’il fallait plaire à une salle prête à bondir au premier faux pas. On ne lui reprochera pas d’avoir cité les mots magnifiques inscrits sur le socle de la statue de la Liberté : « Donnez-moi vos pauvres, vos exténués qui, en rangs serrés, aspirent à vivre libres, le rebut de vos rivages surpeuplés, envoyez-moi ces déshérités rejetés par la tempête. » Mais que vaut le verbe alors que, dans les faits, la France ne brille guère par sa générosité ? Là encore, on est tenté de faire appel à nos décrypteurs : ce tournant, pour l’instant très formel, ne s’inscrit-il pas dans la stratégie de reconquête de l’opinion de gauche ? Scepticisme et perplexité… De même, lorsque le militant entend le Premier ministre affirmer à propos du code du travail que l’on peut « lever les contraintes, tout en protégeant ! », il est inévitablement saisi par le doute. Il se dit que cette quadrature du cercle fleure bon l’arnaque. Monsieur de La Palice l’aurait compris : si on lève les contraintes, on lève aussi les protections. Mais ce dossier a au moins un avantage : il n’a pas besoin de décryptage.

[^2]: Le Bon Gouvernement , Pierre Rosanvallon, Le Seuil, 416 p., 22,50 euros.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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