EELV à l’heure de la clarification

Le parti perd deux des plus virulents opposants à la ligne de Cécile Duflot, qui a tourné le dos au gouvernement Valls.

Patrick Piro  • 2 septembre 2015 abonné·es
EELV à l’heure de la clarification
© Photo : LEOTY/AFP

« C’est une lourde perte », reconnaît Julien Bayou, l’un des porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV). Coup sur coup, jeudi et vendredi derniers, les groupes écologistes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont vu leur coprésident et leur président rendre leur carte du parti. « Mais, pour une majorité de militants, il s’agit d’une clarification politique. » Depuis des mois, François de Rugy et Jean-Vincent Placé s’opposaient à la ligne du parti, menaçant de prendre leurs distances. Le premier avait même voté en faveur de la loi sur le renseignement [^2], à l’inverse de la position très majoritaire des instances du parti, qui jugeaient le texte liberticide. L’entrée en divergence de ces élus se cristallise précisément en avril 2014, quand Cécile Duflot et Pascal Canfin décident de démissionner de leur poste de ministre, fermant la porte à une participation au gouvernement du nouveau Premier ministre, Manuel Valls. Une position imposée au parti sans débat, ce que ne digéraient pas François de Rugy et Jean-Vincent Placé. Au-delà de la frustration d’éventuelles prétentions à un maroquin, ces cadres écolos affichent depuis le début de l’année le rejet catégorique d’un aggiornamento stratégique de plus en plus assumé par les écologistes : l’alliance avec le Parti socialiste n’est plus dans l’ordre naturel des préférences. Au-delà d’une position de principe d’autonomie, courante chez EELV lors des premiers tours de scrutin, les militants ne rechignent pas à passer localement des accords avec le Parti de gauche, Ensemble !, Nouvelle Donne, voire le Front de gauche dans son ensemble, signifiant de fait une opposition au PS. Cette stratégie, qui a connu un succès retentissant lors de la municipale de Grenoble (2014), a été fréquemment reprise lors des départementales de mars dernier et pourrait être avalisée dans six des quatorze régions à l’occasion du scrutin de décembre.

Représentatifs d’une position minoritaire [^3], ces départs, d’autant plus médiatisés qu’ils ont opportunément été annoncés la veille de l’université d’été du PS, ne signent donc pas « l’implosion » du parti écologiste, comme dramatisent certains observateurs. Par ailleurs, la précipitation de Placé à emboîter le pas à de Rugy dénonce davantage « des aventures individuelles », selon la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse, que l’amorce d’une scission organisée. « On peine à discerner un projet politique dans ce qui ressemble à une querelle d’ego, renchérit l’économiste Jérôme Gleizes, à l’aile gauche d’EELV. De Rugy se déclare candidat à une primaire de gauche inexistante, et Placé veut rassembler autour de lui. » Par ailleurs, les partants n’entraînent pour le moment ni le député Denis Baupin ni Barbara Pompili (coprésidente du groupe des députés écologistes), sur la même ligne critique mais bien silencieux.

Le 4 avril dernier, tous ces dissidents potentiels s’étaient retrouvés pour envisager l’avenir de l’écologie politique. « Sans qu’émerge de construction formelle », rappelle Jean-Luc Bennahmias, ex-Verts et fondateur du jeune Front démocrate (centre-gauche), présent ce jour et en relation régulière depuis des mois avec les déçus d’EELV [^4]. « Je prévois cependant une initiative collective de leur part dans les dix jours, ainsi que le départ de centaines de militants à leur suite », dans l’intention de créer une sorte de « maison commune » des écologistes démocrates et progressistes, estime-t-il, et dont les bases seraient le soutien au gouvernement, tout en gardant la volonté de peser « de manière responsable » sur les grands dossiers écologistes. « Bref, c’est le fan-club de Hollande pour 2017 en guise de projet fédérateur », tranche David Cormand, numéro 2 d’EELV et proche de Cécile Duflot. Il juge inchangée la ligne du parti : « Notre dernier congrès appelait le gouvernement à changer de cap [^5]. Or, il est encore plus affirmé depuis l’arrivée de Valls. »

[^2]: Avec Éric Alauzet, Denis Baupin, Christophe Cavard et François-Michel Lambert.

[^3]: La motion « pro-gouvernementale » soutenue par François de Rugy en Loire-Atlantique lors de la désignation des candidats écologistes aux élections départementales n’a recueilli que 17 % des voix en interne.

[^4]: Denis Baupin a participé à l’université d’été du Front démocrate, tenue à La Rochelle juste avant celle du PS.

[^5]: Caen, novembre 2013. Le prochain aura lieu en mai ou juin 2016.

Politique
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

« Censure ou pas, il faut s’en prendre aux pouvoirs présidentiels »
La Midinale 17 octobre 2025

« Censure ou pas, il faut s’en prendre aux pouvoirs présidentiels »

Après le rejet des deux motions de censure contre le gouvernement Lecornu jeudi 17 octobre, Raquel Garrido, ancienne députée et cofondatrice de L’Après, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
À l’Assemblée, Sébastien Lecornu dit merci aux socialistes
Analyse 16 octobre 2025 abonné·es

À l’Assemblée, Sébastien Lecornu dit merci aux socialistes

Le premier ministre échappe aux censures. Chez les socialistes, la fronde n’a pas vraiment eu lieu. Et la gauche se retrouve écartelée entre deux pôles. 
Par Lucas Sarafian et June Geffroy
« Censurer cette semaine est sans doute la dernière occasion d’obtenir une dissolution avant 2027 »
Politique 15 octobre 2025

« Censurer cette semaine est sans doute la dernière occasion d’obtenir une dissolution avant 2027 »

Après le discours de politique générale de Sébastien Lecornu et l’annonce de la non-censure par le PS, Rémi Lefebvre, politologue, professeur à l’université de Lille et à Sciences Po Lille, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires
Économie 15 octobre 2025 abonné·es

Taxe sur les holdings : Lecornu épargne les milliardaires

Lors de son discours de politique générale, Sébastien Lecornu a affirmé avoir entendu le désir, au sein de la population, d’une meilleure justice fiscale reconnaissant même une « anomalie » au sein de la fiscalité des plus fortunés. Sa réponse : une taxe sur les holdings qui ne répondra absolument pas au problème.
Par William Jean et Pierre Jequier-Zalc