« Il faut refondre le système d’asile et d’accueil en Europe »

Au lendemain des annonces présidentielles et à l’heure des rassemblements de solidarité, Jean-François Dubost, d’Amnesty International, appelle les pays de l’Union à revoir leurs politiques en faveur des migrants.

Ingrid Merckx  • 9 septembre 2015 abonné·es
« Il faut refondre le système d’asile et d’accueil en Europe »
Jean-François Dubost est responsable du Programme personnes déracinées à Amnesty international.
© MESSINIS/AFP

Lors de sa conférence de presse du 7 septembre, François Hollande a affirmé que la France « prendrait sa part » dans le drame des migrants en Europe en accueillant 24 000 réfugiés. Il a aussi évoqué des mesures accrues de contrôles aux frontières et a annoncé qu’il proposerait la tenue d’une conférence internationale sur les réfugiés à Paris.

La réponse du chef de l’État vous paraît-elle adaptée ?

Jean-François Dubost : Il y a quelques mois, Amnesty a remis à François Hollande 48 000 signatures lui demandant d’accueillir un plus grand nombre de réfugiés bloqués autour de la Syrie. Cela a débouché sur une fin de non-recevoir, comme depuis trois ans. Il est intéressant d’observer sa volte-face aujourd’hui, où il défend avec vigueur – ce que nous saluons – le respect du droit d’asile et de l’accueil des réfugiés. Proposer 24 000 places en France pour des personnes déjà en Europe, c’est un acte de solidarité interne qu’il faut aussi saluer. Celles qui sont maltraitées en Hongrie ou en Grèce avaient besoin que les États soient solidaires. Néanmoins, nous aurions attendu de la France un engagement plus fort partant du constat que, s’il y a bien une crise mondiale des réfugiés, en Europe, c’est le système de l’asile qui est en crise. Depuis de nombreuses années, il est axé sur la protection des frontières plutôt que la protection des personnes. Il faut absolument refondre ce système. Mais rien dans le discours du Président n’a transparu à ce propos. François Hollande s’en est tenu à des solutions d’urgence répondant aux images chocs de réfugiés en Hongrie, en Autriche ou en Grèce. En outre, il a proposé des solutions d’organisation à l’intérieur de l’Europe. Cela ne résoudra en rien le problème des cadavres sur les plages méditerranéennes. Tant qu’on n’ouvrira pas de voies d’accès aux réfugiés, sous forme de visas notamment, ces drames vont se poursuivre. L’Europe ne s’engage pas suffisamment pour soulager les premiers pays d’accueil et éviter aux réfugiés d’emprunter des voies dangereuses pour la rejoindre.

Que penser de l’organisation d’une conférence internationale sur les réfugiés ?

Énorme succès du portail aiderlesrefugies.fr : deux jours après son lancement, ce site avait déjà reçu près de 80 000 visites, plus de 1 500 personnes avaient proposé d’héberger des réfugiés et plus de 3 000 offert d’organiser des initiatives de soutien. Sans compter les dons et les mobilisations en ligne. Certains maires se constituent en réseaux d’accueil. Des milliers de personnes se sont rendues aux rassemblements organisés place de la République à Paris les 6 et 8 septembre… Mais l’élan est-il unanime ? C’est à voir : d’après un sondage Odoxa pour le Parisien paru le 6 septembre, 55 % des Français restent opposés à ce que la France imite l’Allemagne en termes d’assouplissement du statut de réfugiés.
En juin 2015, nous avions appelé les États à organiser une telle conférence au vu de la situation : plus de 50 millions de déracinés, 17 millions en dehors de leurs frontières, des phénomènes identiques en Méditerranée, en Asie du Sud-Est et en Australie, un million de personnes ayant besoin d’être réinstallées de toute urgence, etc. L’asile dysfonctionne : une conférence mondiale permettrait de renforcer la protection des réfugiés et de partager les responsabilités entre les États.

Que signifie la volonté d’accroître encore le contrôle aux frontières, comme l’a exprimé le président de la République ?

Accroître le contrôle, c’est induire un tri des réfugiés. Lequel se ferait soit à l’entrée de l’Europe, soit en amont si l’idée de centres d’identification, comme c’est le projet aujourd’hui au Niger, émerge. Cela poserait un certain nombre de questions : quels pays hébergeraient de tels centres ? Quelle information sur la situation à l’intérieur ? Quel devenir pour les personnes refusées dans ces centres ? Auraient-ils recours à de la détention ? Les initiatives passées faisant la promotion d’une telle solution – au moment du conflit en Libye, par exemple – n’ont jamais vu le jour. Aujourd’hui, les personnes qui arrivent chez nous fuient en grande majorité des conflits et des persécutions. Dans les discours, on entend beaucoup marquer l’opposition entre réfugiés et migrants, les premiers seraient légitimes, les autres non. Les canaux d’immigration légaux, hors asile, restent inexplorés. On ne s’interroge pas non plus sur l’emploi au noir des migrants, ni sur la politique de visas, extrêmement restrictive. Les politiques se sont engouffrés dans la question des réfugiés parce que c’est d’actualité mais aussi parce que c’est simple : ils ont besoin de protection, donc on va le faire – encore qu’on est loin du compte. Aucun ne s’aventure sur le terrain des migrations.

En parallèle des réactions de François Hollande et de Manuel Valls, on garde en tête la situation à Calais, les évacuations de camps et de bidonvilles, l’errance des mineurs étrangers, les expulsions du territoire, ou les baisses de subvention à des associations de soutien aux migrants. N’est-ce pas contradictoire ?

Nos dirigeants se sentent sommés de répondre à une situation catastrophique. Acculés, ils réagissent avec des solutions globalement à court terme. Les décisions sont difficiles à prendre parce qu’ils ont tenu un discours erroné et beaucoup plus dur vis-à-vis des migrants. Pendant des années, ils ont fait prédominer les questions de contrôle, de lutte, de dissuasion, alors même qu’ils étaient déjà face à des personnes qui n’avaient pas d’autres solutions que la fuite. Aujourd’hui, comme ça se passe un peu plus près de chez nous, ils se sentent obligés de changer de regard. Une partie de l’opinion ne comprend pas leur revirement…

En voyant les solidarités qui se manifestent depuis la parution de la photo de ce petit Syrien mort sur une plage (voir encadré), avez-vous le sentiment que l’opinion bascule ?

Ces initiatives sont très concrètes et très humaines. Quand les gens se rapprochent de ce que vivent les migrants et s’identifient à eux, la bascule peut s’opérer. Cette photo a servi de déclic. Cette grosse vague d’émotion dure depuis une semaine. Il faut attendre de voir si ce mouvement va s’installer.

**Y a-t-il déjà eu autant d’arrivées de réfugiés en France et en Europe ? Vivons-nous une vague historique dans l’histoire des migrations ? **

En France, le nombre de demandeurs d’asile baisse depuis l’an dernier. En Italie et en Grèce, pays proches du conflit syrien, il explose. Au niveau mondial, c’est la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’il y a autant de personnes en dehors de leur foyer, et la Syrie provoque la plus grande crise de réfugiés en dehors de leur pays depuis les massacres au Rwanda. À situation exceptionnelle, attitude exceptionnelle ! Au niveau européen, on n’a jamais construit un système solide pour faire face à des augmentations d’arrivées. Reste que, réparties sur tous les États membres, celles-ci sont loin d’être insurmontables : l’Europe, qui compte 500 millions d’habitants, rechigne à accueillir 320 000 personnes alors que le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens, soit le quart de sa population. Certes, la situation y est très difficile. Mais en Europe, le problème ne vient pas du nombre…

Pourquoi la France est-elle tellement en dessous de l’Allemagne en matière d’accueil ?

Quelques analyses sociologiques évoquent le manque de main-d’œuvre en Allemagne mais aussi le fait que l’opinion y est plus favorable à l’accueil. En France, les discours xénophobes à l’encontre des migrants gèlent les prises de décisions. Le gouvernement doit prendre le contre-pied de ce discours, tenir les principes et les valeurs de solidarité.

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