L’humanité de leur dignité…

Avant le petit Aylan, des milliers d’autres fugitifs ont péri sans que leur accueil soit érigé en urgence.

Sébastien Fontenelle  • 9 septembre 2015 abonné·es

L’obscénité peut certaines fois mettre un peu de temps à s’imposer pour ce qu’elle est. D’autres fois, au contraire, l’excellent Arno Klarsfeld (qui fut, entre 2011 et 2013, président du conseil d’administration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration) exprime par un tweet cet avis [^2], après la publication de la photo, qui a bouleversé le monde (presque) entier, d’un enfant syrien mort noyé en fuyant la guerre : « Personne ne dit que ce n’est pas raisonnable de partir de Turquie avec deux enfants en bas âge sur une mer agitée dans un frêle esquife. » (Puis d’ajouter, pour le cas qu’on n’aurait pas compris sa volonté d’en finir avec le souvenir même de toute espèce de décence : « La famille était en sécurité en Turquie, partir de nuit, par gros temps, sur un petit bateau, sans gilet de sauvetage, c’était déraisonnable. » ) Et certes : la lecture de ces quelques mots donne – très – envie de vomir. À longs traits.

Mais ne pas s’y méprendre, et ne pas se laisser aveugler par l’inconvenance particulière de sa misérable prose : les commentaires de M. Klarsfeld ne sont, en vérité, pas (beaucoup) plus incommodants que ceux qui sont montés des rangs de la classe politique en général, et – je parie que t’avais deviné – de ceux du Parti « socialiste » en particulier. Cette formation, neffet, n’a eu de cesse, depuis qu’est parue cette épouvantable photo, que de proclamer qu’elle était quelque chose comme la mère de tou(te) s les exilé(e)s involontaires : on a vu, notamment, quelques-un(e) s de ses chef(fe)s réciter en chœur que « pour eux, l’accueil » des réfugié(e)s, c’était « oui » – cependant que leur ancien big boss, devenu depuis 2012 chef de l’État françousque, larguait depuis l’Élysée de longs chapelets de « nous avons besoin d’une politique d’accueil en Europe qui soit digne, ferme et humaine », et autres « nous devons mettre en œuvre une politique d’immigration digne de ce que nous représentons ».

Or, nous savons, nous (et n’aurons garde d’oublier), qu’avant le petit Aylan, des milliers d’autres fugitifs ont péri dans des circonstances tout aussi abominables, dont la mort n’a aucunement fait dire aux progressistes éminences de la rue de Solférino [^3] que l’accueil de celles et ceux qui avaient survécu devait être érigé en urgence absolue [^4] – et qu’à Calais comme à Paris la pratique des « socialistes » de gouvernement, effectivement digne de ce qu’ils représentent, a plutôt été, depuis de longs mois, de faire donner, contre les « migrant(e)s », la troupe des compagnies républicaines de sécurité. Au reste, et comme pour qui douterait de l’insondable profondeur de son humanité : M. Hollande vient de proférer, comme je finissais ce billet, qu’il entendait lester dès à présent la France de « centres d’enregistrement » où le bon grain des réfugié(e)s sera trié de l’ivraie des immigrant(e)s indésirables…

[^2]: Dont je conserve ici l’orthographe originelle.

[^3]: Où les « socialistes » ont comme tu sais le siège.

[^4]: Les mecs étaient, de fait, plutôt préoccupés de l’organisation de leur université d’été.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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