Souvenirs de la chasse au Lindenberg

Selon Joseph Macé-Scaron, de méchantes gens sont parties à la chasse au Onfray.

Sébastien Fontenelle  • 23 septembre 2015 abonné·es

Le directeur de l’hebdomadaire désinhibiste Marianne – Joseph Macé-Scaron  – n’est pas du tout content. Selon lui, de méchantes gens sont parties à « la chasse au [Michel] Onfray » et font rien qu’à embêter ce célèbre penseur, à prétendre qu’il ferait, par de récentes proférations, la joie du parti pénique, et à lui opposer, plutôt qu’une argumentation un peu ossue, « agression verbale, emphase, hybris accusatoire, anathème ». Qui sont, au juste, ces persécuteurs ? Macé-Scaron ne le dit pas, et pour cause : récemment égratigné par Libération, qui a fait – queee d’effronterie ! – le constat, fort civilement exposé, que sa prose, certaines fois, ne devait pas complètement insupporter la Pen, Onfray, loin d’être pour autant le réprouvé que prétend le boss de Marianne, dispose, tout au contraire, d’un accès à peu près illimité aux médias dominants.

Dans la vraie vie, insistons-y : ce « libertaire » intransigeant, très à l’aise dans la proximité de l’éditocratie, a son rond de serviette dans un nombre assez impressionnant de rédactions – où il va désormais récitant (parmi d’autres diatribes), pour la plus grande satisfaction de ses hôtes du Point ou de BFMTV (liste non exhaustive), qu’on peut presque plus rien dire sur l’islam ou les migrants sans s’faire traiter de facho, dans ce pays rongé par la bien-pensance, mâme Dupont. En sorte que son calvaire de progressiste ostracisé est sans doute un peu moins douloureux, dans la réalité, que ne le laisse supposer Macé-Scaron. Mais, par-delà la fantaisie qui lui fait se représenter Michel Onfray en victime d’une espèce de conspiration des « grands inquisiteurs [^2] », le plus drôle (façon de parler), dans la leçon de maintien du patron de Marianne, tient, pour partie, dans le passé professionnel de son auteur.

Puisque, en effet, lorsqu’il officiait, au tout début de ce siècle, au Figaro, où il avait notamment, et si mes souvenirs sont bons, la charge des pages dédiées aux « débats », Macé-Scaron a été l’un des artisans d’un hallucinant haro sur l’essayiste Daniel Lindenberg, après qu’icelui avait eu l’effronterie de narrer, dans un livre resté fameux [^3], qu’il sentait monter dans l’époque l’emprise idéologique, pour le moins délétère, de « nouveaux réactionnaires » prompts à se spécialiser dans la stigmatisation (plus ou moins doucereuse et parée, le cas échéant, des chatoyants atours de la philosophie) des altérités [^4]. Sous la houlette du professeur Macé-Scaron, qui enseigne aujourd’hui la retenue contre l’emphase, des tombereaux d’invectives (je dis comme ça pour rester poli) furent alors déversés dans les colonnes, donc, du Figaro, sur le pauvre Lindenberg – par d’aussi éminentes figures que MM. Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff (rires). Sans doute est-ce ce précédent qui autorise le chef de Marianne à s’instituer en arbitre des élégances débatteuses…

[^2]: On se frotte les yeux, hein ?

[^3]: Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Seuil, 2002.

[^4]: Depuis, la droitisation des esprits pointée par Lindenberg n’a cessé d’empirer, et les publicistes dont il prédisait la radicalisation ont glissé de plus en plus vite sur la sale pente identitaire qui allait leur assurer, sous le règne d’abord du sarkozysme – qu’ils ne haïssaient point –, de si faciles succès médiatiques.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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