« Un soir chez Boris », d’Olivier Debelhoir : Le cirque au coin du feu

Avec Un soir chez Boris, Olivier Debelhoir signe son premier solo. En trappeur fantaisiste, il convoque dans sa yourte un imaginaire original. Un délicieux rempart d’absurde contre l’isolement.

Anaïs Heluin  • 9 septembre 2015 abonné·es
« Un soir chez Boris », d’Olivier Debelhoir : Le cirque au coin du feu
Un soir chez Boris , de et par Olivier Debelhoir, les 17 et 18 septembre à Saint-Georges-Nigremont (23) dans le cadre d’Itinéraires de cirque en Limousin, www.sirquenexon.com ; les 9 et 10 décembre à l’École nationale de cirque de Châtellerault (86), www.ecoledecirque.org.
© Mimi&Nico

Avec sa barbe de mille jours, une vieille casquette bien vissée sur sa tête en broussaille et sa chemise de trappeur rentrée dans un short informe, Boris, alias Olivier Debelhoir, a tout de l’ermite des temps modernes. Ou du vieux garçon un peu dérangé. Les apparences, il fait croire qu’il s’en fout. Mais sa désinvolture a quelque chose de surjoué. Quand il accueille les spectateurs – une petite centaine chaque soir – dans sa yourte-chapiteau, il semble déterminé à ne pas lâcher un sourire. À faire le bougon. On voit bien que, du coin de l’œil, il veille au confort de ses invités, mais il s’en défend à coup de monologues laconiques. Pendant une bonne moitié de spectacle, Olivier Debelhoir cache aussi les compétences d’acrobate qu’il a exercées au sein de plusieurs compagnies. La sienne en premier lieu, Chérid’Amour, où il développe des prouesses cyclistes avec ses comparses Bruno Dizien, Gulko et Gilles Cailleau. Créé au Pôle national des arts du cirque de Nexon, en Limousin (87), en janvier 2015, et programmé dans le cadre du festival la Route du Sirque au mois d’août, son premier solo, Un soir chez Boris, n’est pourtant pas du non-cirque, mais du cirque qui dit « non ». « Non » au cirque de divertissement. « Non » au spectaculaire sans âme ni saveur. Son arme : un sens aiguisé de l’absurde.

« On se mettrait un peu de piquant ? » , marmonne dans sa barbe le drôle de gus après quelques tours de yourte et autant de regards perdus jetés à la ronde. Et le voilà parti assaisonner le cirque comme il aime. Avec son accordéon et un répertoire ringard à souhait, plein d’amours aussi lointaines que celles de « Mon Amant de Saint-Jean ». Plein de queues leu-leu, de danses des canards et autres chorégraphies enfantines. C’est que Boris est un peu dans sa yourte comme dans le ventre de sa mère : il y règne en maître et se complaît dans une naïveté largement influencée par les séries B, les films catastrophe et les westerns spaghettis. Boris ne manque pas pour autant d’imagination. Dans son cocon, les chansons vieillottes et les films de genre sont des points de départ vers des délires très personnels. Vers une imagerie du trappeur revue et visitée de A à Z par ses soins farfelus. On pense parfois à la Serre, célèbre spectacle du duo Lefeuvre&André, qui tourne depuis quatorze ans, lui aussi programmé durant la dernière édition de la Route du Sirque. Dans une serre-chapiteau, les deux originaux se livrent à des drôleries acrobatiques paysannes avec brouette, pelle et autres outils champêtres ; Olivier Debelhoir, lui, fait un peu la même chose dans un univers pseudo-montagnard.

Au coin d’un âtre virtuel – sur une télé, une vidéo de feu de cheminée crépite du début à la fin du spectacle – et nez à nez avec son seul ami, Bonaparte, une tête de sanglier empaillée, Boris s’invente pour lui-même des épopées enneigées. Il s’imagine en chef d’une bande de bras cassés perdus dans des hauteurs congelées. Ses ordres – saugrenus, il va sans dire – n’y font rien : dans une suite de catastrophes invraisemblables, ses compagnons imaginaires passent tous l’arme à gauche. Heureusement, Boris a de la ressource. Il se fait ensuite trafiquant de peaux, poursuivi par de gros patibulaires dont on n’entend que la voix, avant de revenir à ses amours perdues des chansons populaires. La fiction, ça justifie toutes les solitudes. Toutes les clowneries et toutes les acrobaties, aussi. En parlant – d’histoire en histoire, le bougre devient un sacré bavard –, Boris s’active. Il chausse des skis et se livre à des numéros d’équilibriste sur poutre, sur échelle, chaise, ou pelle. Olivier Debelhoir a beau avoir déployé son solo autour de la parole, il n’a pas tourné le dos à l’audace physique. Son Boris se risque autant par les mots que par le corps, et ça nous « met du piquant ».

Culture
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