Air France : salauds de grévistes !

«Images hallucinantes», « scène incroyable »,«violence extrême»… Le traitement médiatique du conflit social d’Air france, ce lundi, montre un parti pris qui rappelle quelques précédents.

Jean-Claude Renard  • 6 octobre 2015
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Air France : salauds de grévistes !

Ça n’a pas loupé ! Le conflit à Air France a donné lieu à un seul point de vue, un parti-pris. « Incroyable scène de violence » , s’empresse d’annoncer Gilles Bouleau, en ouvrant son JT, ce lundi 5 octobre, avec « deux dirigeants molestés » et « jetés à terre par leurs propres salariés. La scène s’est déroulée au siège d’Air France » , et « les images que vous allez voir vont bien au-delà des normes admises lors d’un conflit social » . Le sujet du 20heures de TF1 va durer moins de deux minutes, avant d’enquiller sur près de 30 minutes sur les intempéries dans le Sud et son poids de spectacularisation.

Sur France 2, c’est « le choc à Air France », prévient David Pujadas. « L’image n’est pas banale » , avec « des directeurs blessés » . Après un mini reportage d’images, le présentateur se fait le relai de Manuel Valls, « scandalisé » par les troubles, et demande à son reporter, Luc Bazin, en direct du siège d’Air France « si l’on a identifié les agresseurs » et si « cela a été délibéré » . A l’évidence, il lui faut des noms et des circonstances aggravantes. Enfin, un tableau pointe les coûts de production à Air France, encore trop élevés, pour mieux justifier sans doute le plan social de la compagnie.

Roissy, 5 octobre 2015 : Xavier Broseta, directeur des ressources humaines à Air France, s’enfuit sous la pression des salariés du groupe. - AFP PHOTO / KENZO TRIBOUILLARD

Aujourd’hui, sur Canal+, dans « La Nouvelle édition » , présentée par Daphné Bürki, l’émission s’ouvre sur les mêmes images. « Des images choquantes, qui ont fait le tour du monde, des images hallucinantes. » Hallucinantes, vraiment ? Sur le plateau, Christophe Pesenti, pilote de ligne et porte-parole du syndicat Alter est invité à répondre. Ou plutôt invité à essuyer un tir nourri. « Il faut condamner toutes les violences , consent le pilote, toutes les violences sociales, quelles qu’elles soient. Mais il ne faut pas occulter qu’après ça, la manifestation a été pacifique. » Ha, tiens, ça on ne le savait pas. Il n’y a pas eu d’images. Le pilote poursuit : « Les salariés ont été à bout. »

Daphné Bürki reprend : « Sur les 2900 départs, ce sont les pilotes qui s’en sortent le mieux, avec 300 suppressions de poste. » Comme s’il fallait diviser les salariés. « Il n’y a pas de fracture dans le personnel, on est tous dans le même bateau, tous salariés, et tous menacés » , réplique Pesenti.

On incruste alors une interview de Michel Sapin sur Europe 1, jugeant qu’il est « nécessaire de bouger » , et condamnant « une minorité et ses visions individuelles et corporatistes » . C’est marrant, ils n’ont pas repris les propos d’Olivier Besancenot, tenus la veille au soir, sur i-Télé, certainement introuvables (pourtant, il s’agit bien du même groupe Canal).

Elle est où la violence sociale?

Au verbe de Sapin, le pilote s’étonne d’abord « qu’un gouvernement socialiste puisse se réjouir de licenciements » , avant de dénoncer la manipulation des chiffres opérée par la direction. « Le chiffre d’affaires de la compagnie est bon [avec 15 milliards d’euros de bénéfices], mais il faut voir où va l’argent pour expliquer le déficit » [400 millions d’euros] : commandes d’avion pour Transavia, amendes pour entente illicite sur le cargo, retraites chapeau…

Christophe Pesenti croit en avoir fini ; il se trompe. Chroniqueur dans l’émission, Nicolas Domenach entend souligner dans ces circonstances « la mansuétude des juges » , et celle du syndicaliste : « Expliquer le lynchage, c’est une chose, le justifier, ç’en est une autre. Là, on a failli lyncher quelqu’un, c’était d’une violence extrême ! » Extrême vous dit-on.

Le pilote devra donc suggérer à Nicolas Domenach « d’expliquer à une famille ce qu’est un licenciement » . Elle est où la violence sociale ? ! Autre chroniqueur attitré, Ariel Wizman surenchérit. Ben oui, quoi, après tout, ce DRH « occupe une fonction, ce n’est pas le responsable » . Certes, mais « il applique les consignes » , reprend une dernière fois le syndicaliste.

Une dernière fois parce que Daphné Bürki entend mener le débat : « On en reparlera, et vous êtes le bienvenu sur notre plateau. » Depuis quand voit-on un syndicaliste revenir sur un plateau ? C’est curieux, mais tout cela a un air de déjà vu. Ça rappellerait presque Xavier Mathieu, sommé de s’expliquer devant David Pujadas après le saccage de la sous-préfecture de Compiègne…


Médias
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