Climat : frapper au portefeuille

Les mouvements sociaux n’attendent pas de grande décision de la conférence de Paris. Ils jugent plus efficace de faire pression sur les pouvoirs économiques pour qu’ils mettent fin à leurs investissements dans les fossiles.

Patrick Piro  • 7 octobre 2015 abonné·es
Climat : frapper au portefeuille
© Photo : Bunel/NurPhoto/AFP

Mises en sourdine, les injonctions solennelles aux gouvernements de la planète, la menace d’échec de « l’ultime rendez-vous » pour trouver un accord avant la catastrophe, les lettres ouvertes d’enfants aux grands de ce monde… La société civile a appris de l’échec du sommet climatique de Copenhague en 2009 (COP 15), où elle avait concentré l’essentiel de ses pressions sur les négociateurs des quelque deux cents pays représentés, afin de forcer un accord global dans la lutte climatique. S’il reste impératif d’y arracher des avancées significatives, la COP 21, à Paris en décembre, n’est plus un objectif prioritaire pour les mouvements sociaux et les associations, qui ont pris leurs responsabilités en s’investissant dans des actions concrètes pour enclencher les mutations qui s’imposent. En 2015, la mobilisation internationale a mis le paquet sur le nerf de la guerre climatique : l’argent. Et tout d’abord les énormes investissements consacrés aux énergies fossiles. En mai dernier, le Fonds monétaire international (FMI)annonçait que le montant annuel des subventions gouvernementales au charbon, au pétrole et au gaz atteignait la somme vertigineuse de 5 300 milliards de dollars – 10 millions d’euros par minute, plus que les dépenses de santé publique mondiales. L’évaluation inclut les coûts non facturés aux filières fossiles : les maladies et les millions de décès prématurés dus à la pollution de l’air, ainsi que les dommages résultant des inondations, sécheresses et tempêtes attribuables au dérèglement climatique. Aujourd’hui, des mouvements citoyens n’hésitent plus à qualifier de criminelle la mollesse des gouvernements à renoncer aux faveurs accordées aux fossiles, en dépit de leurs discours, notamment au sein du G20 en 2009.

Les ONG environnementales ont salué les avancées de l’assemblée annuelle des Nations unies, en partie consacrée à la COP 21. La Chine, qui annonçait en novembre 2014 le pic de ses émissions pour 2030, va fixer un prix des émissions de CO2 pour les plafonner par un marché de quotas, et donner 2,8 milliards de dollars d’aide aux pays du Sud.

Les États-Unis ont bouclé leur plan de réduction annoncé l’an dernier avec la Chine : 32 % d’émissions de moins pour la période 2005-2030.

Troisième émetteur après ces deux pays, l’Inde veut baisser ses émissions par point de PIB de 33 à 35 % d’ici à 2030. Pas de pic, mais la promesse de porter la part des énergies non fossiles à 40 % de sa production d’électricité, aujourd’hui à 70 % issue du charbon. Enfin, le Brésil a surpris, qui ambitionne, pour 2030, 43 % de réduction de ses émissions par rapport à 2005, 45 % de renouvelables, 32 millions d’hectares de terres agricoles et de forêts restaurées, et la fin de la déforestation illégale.

Lancé fin août, l’appel « Stop crimes climatiques » [^2], signé par une centaine de personnalités internationales, demande encore une fois l’abandon de ces subventions. Mais il va plus loin. Premier du genre, il demande que les acteurs de l’énergie s’engagent à geler les projets d’extraction pour laisser dans le sol 80 % des réserves connues de charbon, de pétrole et de gaz, dont la combustion conduirait à une augmentation de près de 6 °C de la température moyenne de la planète, loin des 2 °C reconnus comme limite pour éviter des basculements climatiques irréversibles [^3]. Cette bataille est cruciale : « Les réserves représentent un profit potentiel pouvant aller jusqu’à 7 000 milliards de dollars », signale Nicolas Haeringer, animateur en France de 350.org. Ce mouvement social mondial dédié à la question climatique a lancé une campagne de pression auprès des investisseurs institutionnels afin qu’ils retirent de leurs portefeuilles de placements les valeurs du secteur du charbon, l’énergie fossile la plus polluante.

Depuis le premier succès – le retrait de l’université de Stanford en mai 2014 –, les engagements de désinvestissement atteignent 50 milliards de dollars. Mi-septembre, ils émanaient de 450 acteurs publics et privés, pesant ensemble 2 600 milliards de dollars, relève la plateforme Go Fossil Free ^4. Ont notamment rejoint le mouvement : l’énorme fonds souverain de la Norvège, la Fondation Rockefeller Brothers, le Conseil œcuménique mondial, la ville de San Francisco, etc. En France, les Amis de la Terre, Oxfam et Bizi, en particulier, font pression depuis des années sur les banques pour qu’elles mettent fin à leurs participations financières dans les fossiles, surtout le charbon. En décembre 2014, la Société générale faisait directement savoir aux associations qu’elle se retirait du gigantesque projet d’exploitation du bassin houiller australien de Galilée, bientôt suivie par la BNP et le Crédit agricole. Et cette dernière vient de renoncer à financer de nouvelles centrales à charbon dans les pays « à hauts revenus », dont la Croatie, où la banque prévoyait d’investir dans le très contesté projet Plomin C [^5].

Désinvestir est une chose, mais il faut aussi ** (ré)investir de manière éthique. Plaidant depuis longtemps pour un effort financier significatif de la France, plusieurs organisations ont salué la déclaration de François Hollande aux Nations unies le 28 septembre : une augmentation de l’aide de Paris aux pays pauvres, de 3 à 5 milliards d’euros, prioritairement affectée à leur adaptation à un dérèglement climatique dont ils sont les principales victimes. Autre cheval de bataille des associations : le projet de taxe sur les transactions financières européenne. Il prend tournure alors que les 11 pays qui y adhèrent viennent de se réunir pour aplanir les derniers différends. L’entrée en vigueur est prévue pour début 2017. Une partie importante (un quart, demandent les associations) des dizaines de milliards d’euros que générerait ce prélèvement serait affectée à la compensation des impacts climatiques dans le Sud.

Plusieurs organisations sont intégralement engagées dans la promotion d’investissements positifs, comme la coopérative financière La Nef, qui propose des placements « pro-climat », ou le fonds citoyen Énergie partagée, dédié au développement des énergies renouvelables. Le 10 octobre, les Amis de la Terre appellent les particuliers à changer de banque, car certaines persistent à financer, avec leur argent, des projets « climaticides » – la BNP en tête, mais aussi le Crédit agricole et la Société générale, en dépit de leurs récents reculs. « Cassez la tirelire des énergies fossiles et récupérez votre argent pour décider de son usage ! », lance Lucie Pinson, en charge de l’action aux Amis de la Terre, qui propose un guide pour passer à l’action [^6].

[^2]: Crimes climatiquesstop.org ; lire aussi Crime climatique stop ! L’appel de la société civile, Le Seuil.

[^3]: Pour un nombre croissant de voix, le maximum serait même une hausse de 1,5 °C.

[^5]: Sur Politis.fr, voir mot-clé « plomin ».

[^6]: « Climat : comment choisir ma banque ? », amisdelaterre.org.

Écologie
Temps de lecture : 5 minutes