Haute-Savoie : un cessez-le-feu pour les bouquetins

En Haute-Savoie, l’abattage d’animaux malades oppose défenseurs de la nature et éleveurs inquiets pour leurs troupeaux.

Sasha Mitchell  • 21 octobre 2015 abonné·es
Haute-Savoie : un cessez-le-feu pour les bouquetins
© Photo : BORN/Biosphoto/AFP

Des bouquetins du massif du Bargy, en Haute-Savoie, ont été la cible de dizaines de tirs les 8 et 9 octobre. Bilan : 70 morts. Certains étaient porteurs de la brucellose, une maladie bénigne mais transmissible à l’homme et aux troupeaux d’élevage domestiques. Dans cette région, berceau du reblochon, les risques de contamination du fromage ont été jugés trop importants. Le 16 septembre, le préfet de Haute-Savoie a donc ordonné l’abattage de 200 à 250 des 300 caprins du massif. Une décision illégale aux yeux des associations de protection de la nature et des animaux, qui ont déposé un référé devant le tribunal administratif de Grenoble. « L’arrêté pris par le préfet n’a pas été porté à la consultation du public, ce qui est pourtant obligatoire depuis 2013, explique Ariane Ambrosini, du service juridique de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Ensuite, il existe une alternative, à savoir effectuer des tests sur chaque bouquetin et n’euthanasier que les séropositifs. »

C’est sur ce point que les opposants à cette guerre aux bouquetins sont les plus revendicatifs. Selon les estimations, moins de la moitié des 250 caprins condamnés seraient porteurs de la bactérie. Tirer à vue sans faire la différence entre individus sains et infectés est selon eux un non-sens. Avis partagé par les experts de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et du Conseil national de protection de la nature (CNPN), pour qui l’abattage n’était pas la solution privilégiée. « Nous sommes d’accord pour que les individus séropositifs soient euthanasiés, mais nous voulons que les autres soient vaccinés », tranche Jean-Pierre Crouzat, de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna). D’autant plus qu’une éradication partielle des bouquetins du massif avait déjà eu lieu en 2013, au moment où une brucellose décelée chez deux adolescents et un bovin l’année précédente avait été attribuée aux caprins. Résultat, 230 bouquetins étaient abattus d’un coup. Une opération inutile, donc, puisque la bactérie circule encore dans le cheptel deux ans plus tard… « L’élevage haut-savoyard a une épée de Damoclès au-dessus de la tête depuis 2012, s’inquiète Bernard Mogenet, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Savoie. Lorsqu’un cas de brucellose est décelé dans un élevage, toutes les bêtes sont abattues dans les 48 heures, on ne tergiverse pas pendant trois ans comme pour les bouquetins. Nous ne voulons pas du “deux poids, deux mesures”. »

S’ils soutiennent la stratégie de réintroduction d’un noyau sain de 75 têtes dans le massif une fois les autres caprins abattus, les éleveurs refusent l’envoi de « troupes au sol » pour vacciner les bouquetins sains et euthanasier les individus malades. « Cela prendrait trop de temps, entre cinq et dix ans, et nous risquerions d’assister à la contamination des bouquetins sains d’une année sur l’autre, affirme Bernard Mogenet. Les conséquences seraient graves si un troupeau venait à être touché, avec un blocage du fromage et le risque que l’agriculture française perde son statut “d’indemne de brucellose”, qu’elle détient depuis 1999. » Et qu’importe si l’Anses évalue le risque de transmission de la brucellose aux cheptels domestiques de « quasi-nul » à « minime ». Qu’importe aussi si le bouquetin est un animal protégé. « Protégé, mais plus en danger », précise Bernard Mogenet. En 2013, le ministère de l’Écologie avait accepté le principe de précaution, consentant à l’abattage massif des bouquetins de plus de 5 ans. L’année suivante, en revanche, Ségolène Royal s’était opposée à une seconde opération du genre. Le mois dernier, nouveau revirement avec l’arbitrage rendu par le cabinet du Premier ministre autorisant l’éradication de 200 à 250 bouquetins – en dépit d’un nouvel avis défavorable du CNPN – et débouchant sur l’arrêté préfectoral du 16 septembre. Quelques jours après l’abattage des 70 premiers bouquetins, le ministère de l’Écologie est de nouveau intervenu pour demander… un cessez-le-feu, jusqu’au jugement du tribunal administratif de Grenoble, qui a tenu son audience le 19 octobre. Qu’elle autorise le retour de l’artillerie ou demande la grâce des animaux condamnés, pas sûr que la décision du tribunal, qui sera rendue en fin de semaine, scelle définitivement l’avenir des bouquetins du Bargy.

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Pesticides : La Rochelle marche pour sa santé
Reportage 9 octobre 2024 abonné·es

Pesticides : La Rochelle marche pour sa santé

Le 12 octobre, les opposants à l’agrochimie défileront dans la cité maritime. Face aux alertes à répétition aux pollutions de l’air et de l’eau, des citoyens et des élus se sont mobilisés pour faire entendre leurs inquiétudes et défendre la transition agricole.
Par Sylvain Lapoix
« Écologie populaire » : le dernier coup de com’ de la Macronie
Écologie 4 octobre 2024 abonné·es

« Écologie populaire » : le dernier coup de com’ de la Macronie

Agnès Pannier-Runacher emprunte une expression du bréviaire de gauche pour en faire un coup de communication. Un élément de langage snobé par Matignon et totalement vidé de son sens politique.
Par Vanina Delmas
Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »
Entretien 25 septembre 2024 abonné·es

Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »

Comment porter une parole sensible, de gauche et féministe dans un milieu rural d’apparence hostile ? L’autrice de Péquenaude utilise sa plume tantôt douce, tantôt incisive pour raconter sa campagne bretonne natale, où elle est retournée vivre, en liant les violences sociales, patriarcales et écologiques.
Par Vanina Delmas
En Sicile, le manque d’eau crée la spéculation
Reportage 25 septembre 2024 abonné·es

En Sicile, le manque d’eau crée la spéculation

Touchée par une sécheresse historique, l’île italienne est plongée en état d’urgence depuis le mois de mai. Face à l’absence totale d’anticipation des autorités, tous les habitants ne sont pas logés à la même enseigne.
Par Augustin Campos