Haute-Savoie : un cessez-le-feu pour les bouquetins
En Haute-Savoie, l’abattage d’animaux malades oppose défenseurs de la nature et éleveurs inquiets pour leurs troupeaux.
dans l’hebdo N° 1374 Acheter ce numéro
Des bouquetins du massif du Bargy, en Haute-Savoie, ont été la cible de dizaines de tirs les 8 et 9 octobre. Bilan : 70 morts. Certains étaient porteurs de la brucellose, une maladie bénigne mais transmissible à l’homme et aux troupeaux d’élevage domestiques. Dans cette région, berceau du reblochon, les risques de contamination du fromage ont été jugés trop importants. Le 16 septembre, le préfet de Haute-Savoie a donc ordonné l’abattage de 200 à 250 des 300 caprins du massif. Une décision illégale aux yeux des associations de protection de la nature et des animaux, qui ont déposé un référé devant le tribunal administratif de Grenoble. « L’arrêté pris par le préfet n’a pas été porté à la consultation du public, ce qui est pourtant obligatoire depuis 2013, explique Ariane Ambrosini, du service juridique de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Ensuite, il existe une alternative, à savoir effectuer des tests sur chaque bouquetin et n’euthanasier que les séropositifs. »
C’est sur ce point que les opposants à cette guerre aux bouquetins sont les plus revendicatifs. Selon les estimations, moins de la moitié des 250 caprins condamnés seraient porteurs de la bactérie. Tirer à vue sans faire la différence entre individus sains et infectés est selon eux un non-sens. Avis partagé par les experts de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et du Conseil national de protection de la nature (CNPN), pour qui l’abattage n’était pas la solution privilégiée. « Nous sommes d’accord pour que les individus séropositifs soient euthanasiés, mais nous voulons que les autres soient vaccinés », tranche Jean-Pierre Crouzat, de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna). D’autant plus qu’une éradication partielle des bouquetins du massif avait déjà eu lieu en 2013, au moment où une brucellose décelée chez deux adolescents et un bovin l’année précédente avait été attribuée aux caprins. Résultat, 230 bouquetins étaient abattus d’un coup. Une opération inutile, donc, puisque la bactérie circule encore dans le cheptel deux ans plus tard… « L’élevage haut-savoyard a une épée de Damoclès au-dessus de la tête depuis 2012, s’inquiète Bernard Mogenet, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Savoie. Lorsqu’un cas de brucellose est décelé dans un élevage, toutes les bêtes sont abattues dans les 48 heures, on ne tergiverse pas pendant trois ans comme pour les bouquetins. Nous ne voulons pas du “deux poids, deux mesures”. »
S’ils soutiennent la stratégie de réintroduction d’un noyau sain de 75 têtes dans le massif une fois les autres caprins abattus, les éleveurs refusent l’envoi de « troupes au sol » pour vacciner les bouquetins sains et euthanasier les individus malades. « Cela prendrait trop de temps, entre cinq et dix ans, et nous risquerions d’assister à la contamination des bouquetins sains d’une année sur l’autre, affirme Bernard Mogenet. Les conséquences seraient graves si un troupeau venait à être touché, avec un blocage du fromage et le risque que l’agriculture française perde son statut “d’indemne de brucellose”, qu’elle détient depuis 1999. » Et qu’importe si l’Anses évalue le risque de transmission de la brucellose aux cheptels domestiques de « quasi-nul » à « minime ». Qu’importe aussi si le bouquetin est un animal protégé. « Protégé, mais plus en danger », précise Bernard Mogenet. En 2013, le ministère de l’Écologie avait accepté le principe de précaution, consentant à l’abattage massif des bouquetins de plus de 5 ans. L’année suivante, en revanche, Ségolène Royal s’était opposée à une seconde opération du genre. Le mois dernier, nouveau revirement avec l’arbitrage rendu par le cabinet du Premier ministre autorisant l’éradication de 200 à 250 bouquetins – en dépit d’un nouvel avis défavorable du CNPN – et débouchant sur l’arrêté préfectoral du 16 septembre. Quelques jours après l’abattage des 70 premiers bouquetins, le ministère de l’Écologie est de nouveau intervenu pour demander… un cessez-le-feu, jusqu’au jugement du tribunal administratif de Grenoble, qui a tenu son audience le 19 octobre. Qu’elle autorise le retour de l’artillerie ou demande la grâce des animaux condamnés, pas sûr que la décision du tribunal, qui sera rendue en fin de semaine, scelle définitivement l’avenir des bouquetins du Bargy.