Jean-Luc Einaudi, pionnier en histoire

Un portrait émouvant de l’homme qui sortit de l’oubli le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961.

Olivier Doubre  • 14 octobre 2015 abonné·es
Jean-Luc Einaudi, pionnier en histoire
© **La Bataille d’Einaudi. Comment la mémoire du 17 octobre 1961 revint à la République** , Fabrice Riceputi, préface de Gilles Manceron, Le Passager clandestin, 230 p., 15 euros.

Le 17 octobre 2015, Anne Hidalgo, maire de Paris, et de nombreux élus de la capitale se rendront sur le pont Saint-Michel, face à la préfecture de police. Comme chaque année, ils déposeront une gerbe devant la plaque commémorative inaugurée le 17 octobre 2001 par Bertrand Delanoë, en mémoire de la manifestation pacifique des Algériens, le 17 octobre 1961, contre le couvre-feu raciste institué à leur seule encontre. Une manifestation sauvagement réprimée par la police, alors sous les ordres du préfet Maurice Papon. On le sait aujourd’hui, les victimes, matraquées à mort, pendues dans les bois de communes de banlieue, fusillées ou noyées dans la Seine, furent plusieurs centaines. Si les élus parisiens se recueillent aujourd’hui, alors que cette violence inouïe en plein Paris a été occultée durant des décennies, on le doit essentiellement à un homme : Jean-Luc Einaudi. Et à son livre paru en 1991, la Bataille de Paris. Le titre reprenait d’ailleurs, non sans ironie, celui du chapitre des mémoires de Papon où le préfet se vante d’avoir « tenu Paris » face aux hordes du FLN et reprend la thèse officielle de… deux morts.

Poursuivi en justice en 1999 par Maurice Papon – l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, qui, en août 1942, a organisé la déportation des juifs bordelais –, Jean-Luc Einaudi fait citer Pierre Vidal-Naquet à la barre. Ce jour-là, l’auteur de l’Affaire Audin répond à l’ancien préfet de police qui demande aux juges de « faire taire ce pseudo-historien »  : « L’histoire est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls historiens. » Avant d’ajouter, à l’intention d’Einaudi : « On ne naît pas historien, on le devient. » De fait, ce dernier n’était pas historien, mais éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse.

En consacrant son ouvrage à cette véritable « bataille » que Jean-Luc Einaudi a menée pour faire sortir du déni l’histoire de cette terrible « ratonnade », contre la version officielle, le verrouillage des archives, les mensonges et « l’omerta » des responsables et des partis politiques de l’époque (à l’exception du PSU), l’historien Fabrice Riceputi, enseignant dans un quartier populaire de Besançon, dresse aussi un portrait sensible de l’homme. Ancien militant maoïste dans les années 1970 et rédacteur de l’Humanité rouge, le quotidien de son organisation, où il apprend les enquêtes de terrain, Jean-Luc Einaudi entendra parler du 17 octobre 1961 par les anciens militants anticolonialistes à la gauche du PCF. Jusqu’à ce qu’il se décide, en pionnier et en marge de son travail d’éducateur, à retrouver des témoins et certaines archives, et publie ce livre grâce auquel la vérité ne pourra plus jamais être niée. Cette Bataille d’Einaudi est à la fois un hommage et le récit d’une revanche sur une histoire officielle mensongère.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Israël/Palestine : pour aller plus loin
Sélection 2 octobre 2024 abonné·es

Israël/Palestine : pour aller plus loin

Une sélection de livres, de films, de documentaires, etc. pour compléter la lecture de notre numéro spécial consacré au conflit israélo-palestinien, un an après le 7 octobre.
Par Politis
Enzo Traverso : « Le concept de génocide à Gaza apparaît clairement justifié »
Entretien 2 octobre 2024 abonné·es

Enzo Traverso : « Le concept de génocide à Gaza apparaît clairement justifié »

Auteur d’un grand nombre d’ouvrages sur le nazisme, l’antisémitisme ou « la guerre civile européenne de 1914 à 1945 », l’historien s’interroge dans son nouvel essai sur la signification – et les supposées justifications – de la violence israélienne contre Gaza et les Palestiniens aujourd’hui.
Par Olivier Doubre
« Le corps mutilé devient cette seule terre que le colonisé peut habiter »
Intersections 2 octobre 2024

« Le corps mutilé devient cette seule terre que le colonisé peut habiter »

La sociologue et essayiste Kaoutar Harchi analyse la manière dont la stratégie de mutilation des corps menée par Israël participe d’une politique coloniale.
Par Kaoutar Harchi
Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »
Entretien 25 septembre 2024 abonné·es

Juliette Rousseau : « J’essaye de détricoter les mythes de la ruralité »

Comment porter une parole sensible, de gauche et féministe dans un milieu rural d’apparence hostile ? L’autrice de Péquenaude utilise sa plume tantôt douce, tantôt incisive pour raconter sa campagne bretonne natale, où elle est retournée vivre, en liant les violences sociales, patriarcales et écologiques.
Par Vanina Delmas