Les éphémères envolées de la Bourse de Shanghai

Les ficelles sont encore tirées au centre par le Parti.

Gérard Duménil  • 21 octobre 2015 abonné·es

La Bourse de Shanghai suscite à nouveau l’émotion des milieux financiers. En avril 2014, les cours, qui baissaient depuis 2008, se sont emballés [^2]. En quelques mois, l’indice a effectué un bond en avant de 2 000 à plus de 5 000 points, comblant d’aise les classes moyennes chinoises, qui fourniraient le gros des investissements sur ce marché. Mais, hélas !, avec la même rapidité, les cours se sont effondrés, effaçant les gains : un double mouvement laissant sur les courbes l’empreinte d’un clocher digne de nos cathédrales. On se pose donc la question de l’explication d’une telle oscillation, mais on ne trouvera la réponse ni dans les journaux ni dans des études plus sophistiquées. Personne n’en sait rien.

Je ferai deux commentaires aussi spéculatifs que l’indice à expliquer. Première observation : à lire les analyses bien-pensantes, on a l’impression que rien de semblable ne saurait se produire dans « nos pays ». Ce n’est que partiellement vrai. Le mouvement est plus lent et modéré, mais son ampleur est impressionnante. Avec trois pointes atteintes en 2000, en 2007 et aujourd’hui, le yoyo des cours de Bourse (notamment française, allemande et des États-Unis) va du simple au double [^3]. On ne saurait se contenter de réponses simples. On lit, par exemple, que la Bourse chinoise finance peu l’économie réelle, mais, aux États-Unis, les choses vont beaucoup plus loin puisque c’est l’économie réelle qui finance la Bourse [^4]. Il faut, sans doute, chercher au-delà de telles comparaisons. Si la Chine construit le capitalisme, celui-ci demeure bien particulier.

Deuxième observation : cette envolée chinoise n’est pas la première. Entre avril 2006 et septembre 2007, le même indice avait bondi d’à peine plus de 1 000 à 6 000 points pour retomber, symétriquement, à 2 000 et se stabiliser à 3 000. Ces mouvements ne reflètent en rien les « fondamentaux », c’est-à-dire les performances de l’économie chinoise, qui a survécu à cette brève aventure devançant quelque peu la crise de 2008. Ces mouvements font penser aux transformations de l’économie japonaise. L’indice Nikkei a culminé en décembre 1989, au terme d’une ascension plus lente mais de même ampleur, juste avant de retomber dans les mêmes proportions que l’indice de Shanghai après 2007. Au Japon, cet épisode a marqué l’entrée dans le néolibéralisme ou, de manière équivalente, la fin du modèle si performant de l’après-guerre. La transformation venait avec une dizaine d’années de retard sur les États-Unis ou le Royaume-Uni, mais elle a été profonde. Le Japon est alors entré dans une longue stagnation alors que se métamorphosaient les modes de gestion et les politiques. Simultanément, les grandes fortunes s’accroissaient et le capital des sociétés financières anglo-saxonnes entrait massivement dans les sociétés japonaises [^5].

Mon interprétation des éphémères envolées des cours de Bourse en Chine est qu’une fraction de l’opinion financière escompte un basculement vers un capitalisme maximisateur des cours boursiers. Mais celui-ci ne se produit pas, ou trop lentement, ou autrement, car les ficelles sont encore tirées au centre par le grand Parti, celui « du savoir », comme le dit la propagande.

[^2]: Indice SSE Composite.

[^3]: Seul l’indice français, le CAC40, n’a pas repris depuis la crise de 2008.

[^4]: La Grande Bifurcation, Gérard Duménil et Dominique Lévy, La Découverte, 2014, chap. 3.

[^5]: Ibid., chap. 7.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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