Quand les partis sont emportés par leur base

En Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées, la liste Nouveau Monde, rassemblant toutes les composantes de la gauche antilibérale, entend créer la surprise et devenir un laboratoire.

Erwan Manac'h  • 28 octobre 2015 abonné·es
Quand les partis sont emportés par leur base
© Photo : Erwan Manac’h

Gérard Onesta, la tête de liste de Nouveau Monde, n’est pas un novice en politique. L’ancien député européen EELV, vice-président de la région Midi-Pyrénées, assure pourtant que certains détails l’ « affolent » en ce début de campagne pour les régionales. « Lorsque l’imprimeur me demande si on tire 10 000 ou 20 000 tracts, je lui réponds : “ 1 million” ! » Il faut dire que l’attelage qu’il conduit en Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées est pléthorique. EELV s’allie à toutes les familles du Front de gauche ainsi qu’à la Nouvelle Gauche socialiste, créée en juin autour de l’ancien frondeur PS Liêm Hoang-Ngoc [^2]. Le parti régionaliste occitan et des personnalités de la société civile complètent la coalition. « On s’appuie sur la force militante considérable du PCF, qui compte sur 10 000 adhérents dans la région, deux tiers de nos forces vives », tient à souligner la tête de liste EELV. Dans la voiture qui le conduit à Montpellier, chargée des tout premiers tracts de campagne, il revient par le menu sur les ingrédients qui ont permis à ce pari « risqué » d’aboutir.

Au commencement, il y a « un respect mutuel » et un terrain déminé de tout dossier pouvant renvoyer dos à dos le PCF et EELV, comme dans d’autres régions. « Nous avons voté 95 % des délibérations en commun dans l’assemblée régionale en Midi-Pyrénées », résume Marie-Pierre Vieu, élue PCF sortante, en position non éligible sur la liste Nouveau Monde. Le rapprochement a aussi mûri par la base, au sein de rassemblements en tout genre (collectifs Alternative à l’austérité, Chantiers d’espoir, etc.). La recette de cet alliage est à mi-chemin entre Podemos – une bouffée citoyenne envoyant bouler les références partisanes – et Syriza – un cartel de partis : « En période de paix sociale, il est difficile de mobiliser les citoyens mais, ce qui est nouveau, c’est l’implication des militants les plus désintéressés, observe l’ancien socialiste Liêm Hoang-Ngoc. De ce réseau militant a émergé l’idée que nous devions nous mettre ensemble pour incarner une alternative. » Gérard Onesta vante aussi la force d’une méthode nouvelle, en vogue à gauche depuis quelques années. « Poussés aux fesses par les appels citoyens », les partis ont lancé (et financé) un processus ouvert de coconstruction du programme. Trois mois, une trentaine de réunions publiques et quatre cents contributions numériques plus tard, le processus a débouché sur un « langage commun » et la rédaction d’une charte éthique proscrivant le cumul des mandats. Elle fera référence, car c’est la seule que le PCF ait accepté de signer. Les communistes ont mis en sourdine d’importantes réticences internes (notamment en Haute-Garonne), et la question du non-cumul ne se pose pas ici du fait de l’absence de parlementaires dans leurs rangs. Restait la constitution des listes. « Ça n’a pas été simple, loin de là », raconte Guillaume Cros, coordinateur de la campagne et militant EELV. Sur la base d’un sondage donnant leur liste à 16 %, les composantes du rassemblement se sont réparti les places éligibles par consensus, en faisant une place à des personnalités de la société civile qui s’étaient déclarées disponibles à l’issue du travail sur le programme. Résultat : une petite moitié des places et cinq têtes de liste sur treize pour EELV, idem pour les forces du Front de gauche. Environ 10 % des places pour la Nouvelle Gauche socialiste et le Parti occitan, et 10 % pour des personnalités non encartées. « 50 % de nos candidats n’ont aucune expérience élective, précise Gérard Onesta, nous voulons un regard neuf ! »

Pour faire sauter le plafond, Nouveau Monde devra briser deux entraves. La menace du « vote utile », avec une extrême droite à quelques points de la première place dans les sondages, et son corollaire, la question des accords de second tour avec le PS. Pour s’extraire de ces pièges, Gerard Onesta martèle que la région restera à gauche quoi qu’il arrive. Ses calculs sont fondés sur les scores aux élections cantonales. La droite, divisée et conduite par un parachuté, le politologue Dominique Reynié, dont la candidature pourrait être annulée faute de domiciliation fiscale dans la région, ne peut pas l’emporter, juge-t-il. Le FN, donné à 32 % par un sondage BVA du 23 octobre (soit un score deux fois plus élevé que la moyenne de ses résultats aux dernières régionales), ne résistera pas au rassemblement de la gauche au second tour. Tout se jouera donc, selon lui, à gauche, où la déconfiture du PS lui permet d’espérer virer en tête au soir du premier tour. Le candidat met d’ailleurs en garde, à l’aune d’une bagarre électorale contre son partenaire de la majorité régionale sortante, contre les « coups bas » et tentatives « d’enfumage » qui pourraient doucher tout espoir de fusion des deux listes au second tour.

En clair, Gérard Onesta se méfie beaucoup de la presse locale, aux mains de Jean-Michel Baylet [^3], président du PRG, en lice avec les socialistes. Dans plusieurs sondages, dont le dernier date du 23 octobre, trois listes étaient testées à la gauche du PS : Nouveau Monde (11 %), Nouvelle Donne (3 %) et une liste écologiste conduite par Christophe Cavard (3 %), écolo fâché avec EELV, qui serait tenté par l’aventure en solitaire. Les membres de Nouveau Monde y voient une manipulation destinée à disperser l’électorat de gauche, et une tentation du PS local de soutenir ces francs-tireurs pour semer le trouble. « Il faut avancer 350 000 euros minimum pour imprimer 4 millions de professions de foi et 8 millions de bulletins de vote. Personne ne peut candidater sans un appui solide », glisse-t-on au local de Nouveau Monde. « Ce serait contre mon propre intérêt de disperser l’électorat de gauche », rétorque Carole Delga, tête de liste socialiste, qui met en avant le « très bon bilan commun » qu’elle partage avec Gérard Onesta en Midi-Pyrénées. « Désunis, nous sommes en danger, mais unis nous gagnons », ajoute-t-elle. L’entente reste cordiale dans l’attente du dépôt légal des listes, qui se clôt le 9 novembre. Nouveau monde devra aussi composer avec Philippe Saurel, élu maire de Montpellier en 2014 sur une ligne « anti-système » et citoyenne qu’il s’est découverte après avoir échoué à l’investiture du PS. Il présente une liste Citoyens du Midi, mêlant des personnalités de la société civile, d’anciens élus LR et d’anciens socialistes, écolos et PRG, et espère exercer son pouvoir de nuisance hors de Languedoc-Roussillon, ancienne terre de Georges Frêche.

[^2]: Économiste, chroniqueur à Politis.

[^3]: Jean-Michel Baylet est PDG du groupe La Dépêche et, depuis juin 2015, de l’Indépendant (sic), Midi libre, Centre presse, soit la quasi-totalité de la presse dans la région.