Rémi Fraisse, un an après

Une étude indépendante sur la mort du militant écologiste, menée par la Ligue des Droits de l’Homme, souligne les zones d’ombres de l’enquête officielle. Entretien avec Françoise Dumont, présidente de l’association.

Jean-Claude Renard  • 23 octobre 2015
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Rémi Fraisse, un an après
© Photo : Monument en mémoire de Rémi Fraisse, érigée sur le site du barrage de Sivens par le collectif "La pelle masquée". (ERIC CABANIS/AFP)

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, Rémi Fraisse, jeune militant écologiste, était tué par une grenade offensive tirée par un garde mobile dans des conditions alors confuses quant aux responsabilités des forces de l’ordre, engagées depuis plusieurs semaines sur le site de Sivens, proche de Gaillac, dans le Tarn. Une enquête administrative, rappelle la Ligue des droits de l’homme (LDH), avait «conclu très rapidement à une non-mise en cause globale des gendarmes mobiles présents… contredite quelques jours après par des procédures judiciaires beaucoup plus sérieuses et par la publication, par la presse, d’informations laissant à penser que certains éléments du dossier avaient été laissés dans l’ombre» . Face à ces errances, la LDH, France nature environnement et le Syndicat des avocats de France avaient annoncé, en novembre 2014, la création d’une Commission d’enquête indépendante. Cette dernière a travaillé durant une année, auditionnant témoins directs et indirects. Elle rend public aujourd’hui son rapport.

Entretien avec Françoise Dumont, présidente de la Ligue des droits de l’homme.

Que révèle ce rapport ?

Françoise Dumont : Il était important de revenir sur les événements qui ont entraîné la mort de Rémi Fraisse. On s’est demandé aussi pourquoi les pouvoirs publics avaient tenté de dissimuler, de nier parfois la réalité des faits, pourquoi avoir attribué cette mort à une violence dite démesurée des manifestants anti barrage, victimes comprises. Ce rapport dresse un bilan accablant de ce qui s’est passé, en amont, sur la façon dont ont été prises les décisions. Il met en avant les consignes «d’extrême fermeté» qui ont été données, c’est le mot employé, sans que l’on sache très bien qui a donné ces consignes. D’où est parti ce commandement ? Ce n’est pas par hasard, ni une erreur, mais cela provient sans doute d’une haute autorité. Il est aussi accablant sur ce qui s’est passé la nuit même, sur l’emploi démesuré des armes des forces de police, avec l’utilisation de 703 grenades de toutes sortes et le tir de 74 balles en caoutchouc. Enfin, il pointe la volonté manifeste de ne pas faire toute la lumière dans cette affaire, probablement liée à des conflits d’intérêts sur place. Les parents de Rémi Fraisse ont porté l’affaire en justice, on peut parier qu’elle sera classée sans suite.

Sur quoi s’est basé ce rapport, comment avez-vous procédé ?

La commission d’enquête a mobilisé une vingtaine de bénévoles, et reçu le témoignage d’une vingtaine de personnes, militants, associatifs, élus locaux, des protagonistes directs ou indirects du drame lui-même. A partir de ces témoignages, on a pu établir une reconstitution des faits, avant même le drame. Par ailleurs, aucun représentant de l’autorité, dans la chaîne hiérarchique, n’a voulu répondre à nos sollicitations. On s’est aussi appuyé sur toutes les images qui ont été prises, que l’on a décodées minute par minute.

Qu’attendez-vous maintenant ?

Nous allons d’abord médiatiser ce rapport au maximum, le transmettre à toutes les autorités, au président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur, aux élus locaux, et le mettre en ligne de sorte à le faire circuler. On verra quelles sont les suites. Il n’est pas impossible qu’il y ait des réactions assez violentes. On sait déjà que localement, ce rapport dérange. Enfin, si les investigations dressent un bilan accablant, le rapport s’accompagne aussi de préconisations que la puissance publique ne pourra ignorer, pour éviter qu’un drame de la sorte puisse se renouveler. Il y a urgence à instaurer un débat public sur les conditions démocratiques de la sécurité.

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