Juifs et musulmans : le refus de la fatalité

Un ouvrage collectif analyse les causes des tensions actuelles et les ramène à l’histoire plutôt qu’à la religion.

Denis Sieffert  • 25 novembre 2015 abonné·es
Juifs et musulmans : le refus de la fatalité
Juifs et musulmans, retissons les liens ! , sous la direction d’Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, CNRS éditions, 63 p., 4 euros.

Voici un petit livre qui prolonge utilement une rencontre organisée au Sénat le 12 mars dernier sur le thème « Juifs et musulmans, retissons les liens ! ». Les initiateurs en étaient les infatigables Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, qui, depuis de nombreuses années, mettent leur érudition au service de l’antiracisme. Précieuse érudition, en effet, parce que la connaissance de l’histoire est un antidote contre le poison des préjugés. Puisque juifs et musulmans ont si longtemps vécu en bonne intelligence, c’est qu’il n’y a pas de fatalité.

Abordé sous cet angle, l’antagonisme – quand il existe – revient dans le cercle de la raison. On saura gré à Esther Benbassa de rappeler les événements qui ont provoqué de durables tensions : le décret Crémieux de 1870, parce qu’il a donné aux juifs d’Algérie une citoyenneté que la France coloniale a refusée aux musulmans ; la décolonisation en terre arabo-musulmane, parce qu’elle a entraîné le départ des juifs dans le sillage des forces colonisatrices ; et, bien sûr, le conflit israélo-arabe, puis israélo-palestinien, parce qu’il a suscité dans notre société des phénomènes d’identification. Sans oublier la question sociale, entre fantasmes et réalités. Un chapitre plus loin, la sociologue Omero Marongiu-Perria, spécialiste de l’islam, repousse « les interprétations coraniques essentialistes » en rappelant que, dès son émigration vers la cité de Yathrib, la future Medine, Muhammad (Mahomet) avait établi « une charte d’entente avec tous les groupes tribaux de la cité, juifs compris ». Il revient ensuite à Jean-Christophe Attias de traiter l’actualité du problème, sujet ultra-sensible. Et plus encore depuis les sanglants événements de janvier 2015. Ce spécialiste de la pensée juive médiévale s’interroge sur une laïcité « trop souvent déclinée en laïcité d’exclusion » et « spécialement des musulmans ». Attias regarde avec scepticisme (que nous partageons) les inévitables appels au « dialogue interreligieux ». Avant de s’interroger : « Sommes-nous absolument certains que les menaces pesant le plus lourdement sur la paix du monde […] soient de nature principalement religieuse ? » « N’avons-nous pas plutôt affaire à des conflits de portée politique, territoriale, économique ou autre, qui trouvent à s’exprimer par le truchement d’un discours de tonalité religieuse ? »

À lire aussi la contribution du philosophe Joël Roman, qui nous invite à « déjouer les assignations identitaires » pour décliner notre citoyenneté « au prisme de nos identités multiples ». Au total, ce petit ouvrage est un outil pédagogique cent coudées au-dessus des fascicules de piètre morale que l’on a tenté, un temps, de faire entrer dans les écoles.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre