Le Brady, par Jacques Thorens : Au temps des nanars

Jacques Thorens raconte avec humour et sensibilité son expérience de caissier-projectionniste au Brady.

Anaïs Heluin  • 4 novembre 2015 abonné·es
Le Brady, par Jacques Thorens : Au temps des nanars
Le Brady, cinéma des damnés , Jacques Thorens, Verticales, 353 p., 21 euros.
© MULLER/AFP

Le jour où il débarque, CV à la main, devant la façade criarde du cinéma Le Brady, Jacques Thorens n’a pas conscience de l’absurdité de son geste. Les paperasses, le réalisateur et propriétaire des lieux, Jean-Pierre Mocky, s’en balance. Avec lui, tout tient à la « gueule » de son interlocuteur. Comme dans ses films. Et puis Le Brady bat de l’aile depuis longtemps. On est en 2000, et les salles de quartier de Paris ont presque toutes fermé. Pendant ses deux années à exercer au Brady la fonction non répertoriée à l’ANPE de caissier-projectionniste, Jacques Thorens vit alors dans un anachronisme aux allures de cour des miracles qui le fascine et lui fait prendre la plume. Des années plus tard, les notes de l’époque se transforment en livre intitulé Le Brady, cinéma des damnés .

Raconter le Brady de manière traditionnelle eût été un non-sens. Pas de trame ni de chronologie qui vaille pour dire le quotidien de l’ancien « temple de l’épouvante », où, «  au-delà du bien, du mal et du bon goût, se côtoyaient de véritables poèmes macabres et des nanars outranciers en VF  ». Jacques Thorens opte avec bonheur pour un journal de bord composé de chroniques ficelées comme de courtes nouvelles. Mocky, d’une part, et les paumés qui fréquentent son cinéma, d’autre part, en sont les vedettes. L’auteur en fait partie. Ou presque. Dedans-dehors, Jacques Thorens est à l’endroit idéal pour dire les misères et les petites joies des SDF qui viennent profiter du cinéma permanent [^2] afin de faire un somme. Celles des homos, maghrébins pour la plupart, qui se servent du Brady comme lieu de rencontres et d’amour. Celle, enfin, des bissophiles – ou amateurs de cinéma bis –, marginaux eux aussi de par leur (mauvais) goût pour une culture assez largement méprisée.

L’auteur dit cet étrange microcosme avec beaucoup d’humour et de délicatesse. Le Brady, cinéma des damnés est un hommage à des êtres aimés dans toutes leurs extravagances, sans une once de misérabilisme. Jacques Thorens est un peu le Montaigne du cinéma bis. Dans son coq-à-l’âne joyeux et assumé, il passe d’une anecdote sur les coulisses du Brady à une réflexion sur la métamorphose du paysage cinématographique parisien ou sur la multiplication des instituts de beauté africains à la station de métro Château-d’Eau. Avec légèreté, il se fait ainsi le passeur d’un foisonnement disparu – car le Brady a depuis bien changé – et dont la littérature ou la recherche ne s’étaient pas encore saisies.

[^2]: Formule qui permettait au client d’entrer et de ressortir quand il le souhaitait.

Littérature
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