Portugal : Vers une union de la gauche

Le PS et la gauche radicale ont conclu un accord qui constitue une première européenne.

Denis Sieffert  • 11 novembre 2015 abonné·es
Portugal : Vers une union de la gauche
© Photo : RIBEIRO/AFP

Nous avons appris à être prudents. Il n’empêche : ce qui se passe depuis un mois au Portugal mérite d’être suivi avec attention. Imaginez qu’en France les frondeurs prennent le pouvoir au sein du PS et imposent à leur parti de s’allier au Front de gauche et aux Verts sur un programme anti-austérité. C’est un peu ce qui arrive au Portugal. À cette différence près que le Parti socialiste portugais était jusqu’ici dans l’opposition. Depuis les législatives du 4 octobre, le PS était face à un dilemme : s’allier à une droite austéritaire, désavouée par le peuple, mais avec laquelle une coalition était arithmétiquement possible, ou s’associer à l’autre gauche, anti-austérité. C’est finalement cette seconde option que la commission nationale du PS, sorte de parlement interne, a choisie le 7 novembre sous la pression de son aile gauche.

Le discours du patron des socialistes, António Costa, n’est cependant pas exempt d’ambiguïté, puisqu’il a promis de « tourner la page de l’austérité » tout en respectant « les engagements européens et internationaux » du pays. Réaffirmant que le document adopté par l’instance collégiale du parti est « basé sur le programme du PS », António Costa a en même temps indiqué qu’il intègre « les modifications qui découlent » des accords annoncés la veille avec le Parti communiste, le Bloc de gauche et les Verts. Cette « union de la gauche » nouvelle version devait en principe faire chuter le gouvernement de droite mardi, puisqu’elle dispose de 122 sièges sur les 230 que compte le Parlement. La droite du Premier ministre Pedro Passos Coelho, au pouvoir depuis 2011, ayant perdu la majorité absolue.

Cette coalition de toutes les gauches a été rendue possible par le résultat des législatives du 4 octobre. L’alliance PC-Verts, la Coalition démocratique unitaire (CDU), a connu une légère progression, recueillant 8 % des suffrages. Mais la percée la plus spectaculaire a été réussie par le Bloc de gauche (BE), qui revendique une proximité avec le Syriza grec d’avant le tournant du mois de juillet et Podemos. Cette gauche radicale a obtenu 10 % des voix après une progression de 5 %. Au total, les partis anti-austérité ont donc recueilli 36 sièges et près de 20 % des voix. Le scrutin avait cependant été marqué par une forte abstention (43 %), qui témoigne des doutes d’une population meurtrie par des mesures d’austérité imposées par l’Union européenne. Le chômage s’élève aujourd’hui à 13 % et monte jusqu’à 40 % chez les jeunes. Et la dette publique atteint 125 % du PIB, ce qui confirme que l’austérité décidée au nom de la lutte contre les déficits est une politique de gribouille. Au terme d’intenses négociations, le programme présenté le 6 novembre par la direction du PS prévoit plusieurs mesures symbolisant une rupture avec l’austérité. Parmi ces dispositions figurent la fin du gel des retraites dès le 1er janvier 2016, la fin des coupes dans les salaires des fonctionnaires et l’augmentation du salaire minimum de 505 à 530 euros. Le programme prévoit aussi de limiter la privatisation de la compagnie aérienne TAP. Mais António Costa a tenu à souligner que « ce programme est compatible avec les obligations internationales » du Portugal. À savoir respecter les engagements de la droite à limiter le déficit budgétaire à 2,8 % du PIB en 2016, soit en deçà des critères définis par le traité européen de Maastricht.

Toutefois, ce qui peut éveiller un certain scepticisme, c’est surtout l’attitude du PS pendant la campagne électorale. Les dirigeants socialistes s’étaient alors refusés à tout rapprochement avec la gauche radicale. Sans doute espéraient-ils un meilleur score pour eux et moins favorable à l’autre gauche. Ce qui fait craindre aujourd’hui que la coalition révèle sa fragilité dès que les instances européennes et financières fronceront les sourcils. Quoi qu’il en soit, cette évolution est intéressante pour les gauches européennes. Elle l’est d’autant plus dans un pays marqué depuis la chute de la dictature, en 1974, par un violent affrontement entre un Parti communiste longtemps « orthodoxe » et une social-démocratie très conformiste.

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