Royaume-Uni : Cameron veut mettre les syndicats à terre

Le Premier ministre britannique promulgue une loi qui s’inscrit dans l’héritage ultra-réactionnaire de Margaret Thatcher. Correspondance d’Emmanuel Sanséau.

Emmanuel Sanseau  • 18 novembre 2015 abonné·es
Royaume-Uni : Cameron veut mettre les syndicats à terre
© Photo : Carl Court/Gett/AFP

C’est peut-être ici, à Liverpool, que l’histoire du mouvement ouvrier britannique se fait la plus amère. En observant l’assistance grisonnante et clairsemée de la confédération syndicale Trade Union Congress (TUC), difficile d’imaginer qu’un siècle plus tôt les prolétaires de cette ville déclenchaient l’ire de Winston Churchill pour avoir eu le toupet de réclamer des droits sociaux. Depuis les années 1970, le nombre d’adhérents au TUC a été divisé par deux, avec environ 6 millions de travailleurs aujourd’hui. Réunis en ce vendredi 13 novembre dans la « cité des radicaux », les représentants syndicaux font grise mine : quelques jours plus tôt, Westminster a approuvé la « pire attaque contre les syndicats depuis les trente dernières années. » La Trade Union Bill, présentée en juillet dernier par le ministre du Commerce, Sajid Javid, n’attend plus que l’assentiment des Lords pour être promulguée. Au programme : réduction drastique du droit de grève, entrave au financement des syndicats et quadrillage de plus en plus sécuritaire de toute activité syndicale. La loi autorisera même les employeurs à faire appel à des intérimaires pour remplacer les grévistes, réduisant à néant toute tentative de blocage industriel. « Nous sommes très en colère, confie Cathy Fitzgerald-Taher, secrétaire locale du National Union of Teachers, le principal syndicat des enseignants. C’est une attaque flagrante contre les syndicats et le droit de grève. Très prochainement, la plupart des activités syndicales reviendront à enfreindre la loi. » David Cameron l’a affirmé lui-même : les grèves doivent devenir des actions de « dernier recours » … Alors même que leur nombre est déjà à un niveau historiquement bas depuis une vingtaine d’années.

C’est en effet triomphant, jouissant pour la première fois depuis vingt-trois ans d’une majorité parlementaire, que le Conservative Party arbore son vrai visage. Terminé les compromis de coalition avec les libéraux-démocrates. « On anticipait la loi depuis un moment, mais il y a tout de même eu un choc, explique Keith Ewing, professeur de droit public au Kings College London et expert en droit du travail. Les conservateurs reprennent clairement le travail de Margaret Thatcher. L’un des objectifs clés de cette loi est de détruire les syndicats du service public. Ici, les entreprises publiques représentent le dernier bastion des syndicats. Or, étant donné que le gouvernement souhaite poursuivre ses coupes budgétaires, il doit étouffer la résistance. C’est un mouvement stratégique. » Actuellement, une grève est autorisée à condition que la majorité des scrutins s’exprime en sa faveur au préalable, même si une minorité de travailleurs a voté. Avec la nouvelle loi, il faudra non seulement qu’au moins 50 % de l’ensemble du personnel participent au vote, mais qu’en plus, dans les « services public essentiels » tels que l’éducation et la santé, 40 % d’entre eux se prononcent en faveur de la grève. De telle sorte que, d’après les représentants du TUC, la plupart des dernières grèves auraient été illégales.

Si l’on appliquait des règles aussi restrictives aux élections générales britanniques, David Cameron n’aurait jamais été Premier ministre… « L’idée d’un système politique parlementaire, c’est que les personnes qui ne votent pas ne sont pas prises en compte dans le scrutin, s’insurge Keith Ewing. Tandis qu’ici  [en requérant un palier de participation sur l’ensemble du personnel, NDLR], ils font de chaque abstention un vote en défaveur d’une action syndicale. » À cela s’ajoute un assaut brutal sur la stabilité financière des syndicats, avec une répercussion directe sur le Labour Party, dont ils sont les principaux bailleurs de fonds. La loi met en effet un terme au prélèvement automatique de la cotisation syndicale sur les salaires des fonctionnaires, concernant 3,8 millions d’adhérents, et prévoit même des amendes allant jusqu’à 20 000 livres (environ 28 000 euros) en cas de piquets de grève illégaux. « Il va falloir mieux élaborer notre façon de combattre, explique Mark Hattersley, secrétaire local du TUC. Mais j’ose espérer que davantage d’opposition de la part des conservateurs mènera à des actions syndicales plus fortes. Bientôt, il va falloir nous préparer à des poursuites judiciaires à cause de cette loi. Le grand dilemme auquel on va se confronter prochainement sera l’Europe  [le référendum sur le Brexit est prévu d’ici à la fin 2017, NDLR]. Il est clair que l’Union européenne s’attaque aux droits des travailleurs mais, d’un autre côté, sortir de l’Union avec un gouvernement comme le nôtre serait un vrai désastre. »

Monde
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