Boire la COP jusqu’à la lie

Il faudrait laisser 80 % des ressources fossiles dans le sol.

Jean-Marie Harribey  • 2 décembre 2015 abonné·es

Même les gouvernements des pays les plus riches et donc les plus pollueurs du monde reconnaissent en off qu’il ne faut pas attendre de miracle de la COP 21. Pire, sans doute entérinera-t-elle le recul acté à Copenhague en 2009. Puisque les objectifs du protocole de Kyoto n’ont pas été atteints (+ 56 % de gaz à effet de serre émis dans le monde entre 1990 et aujourd’hui, au lieu d’une baisse de 5,2 %), eh bien on n’en fixe pas pour l’avenir. Un beau tour de passe-passe. On se contente d’enregistrer et d’additionner des engagements pris pays par pays. Le Groupe d’experts inergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a fait le calcul : sur la base des déclarations de 170 pays, on filera vers environ + 3 °C, voire plus encore à la fin du siècle, au lieu de + 1,5 °C à 2 °C maximum pour éviter un emballement du climat. Et les pays à la manœuvre (États-Unis et France, notamment) n’expriment guère d’exigences en termes de contrôles et de sanctions, de peur que cela n’incite les pays à revoir leurs engagements à la baisse, tandis que l’Arabie saoudite subordonne ses engagements au fait que ses revenus ne soient pas diminués.

La COP part donc sur de mauvaises bases. Et le battage médiatique de la diplomatie française est entouré de discours de prétendus experts qui brouillent le message adressé à la population, glosent sur des solutions qui ont pour but d’éviter de remettre en cause le modèle capitaliste productiviste, principale cause du dérèglement climatique. Ainsi : – L’économiste Jean Tirole répète depuis des mois qu’il faut fixer un prix unique mondial du carbone. Vu de son bureau, il n’a sans doute aucune idée des écarts de développement, de productivité et de capacité à faire face au changement climatique entre près de 200 pays et entre les multiples secteurs qui ne peuvent se couler du jour au lendemain dans un prix unique. – On nous ressasse que la Chine est devenue le premier émetteur de CO2 ou équivalent. Mesuré comment ? En volume annuel ou par habitant ? Par habitant : 6,08 tonnes pour la Chine, 16,15 pour les États-Unis. En tonnes de CO2 émises sur le sol, ou bien une fois déduites celles contenues dans les exportations vers les pays riches ? Pour mesurer l’empreinte carbone, il faut basculer vers les pays riches environ la moitié de ce qui est émis en Chine. – Les climatologues estiment qu’il faudrait laisser 80 % des ressources fossiles dans le sol pour enclencher une vraie transition. Mais, pendant les tergiversations gouvernementales, les financiers font pression à la veille de la COP pour échapper à la taxation sur les transactions financières, et ils inventent de nouveaux titres censés assurer les biens naturels – ainsi transformés en « capital naturel » – afin de perpétuer la fuite en avant capitaliste [^2].

Là-dessus intervient une catastrophe sanguinaire : les attentats à Paris donnent à François Hollande l’occasion de confirmer sa figure de chef de guerre, installant un état d’urgence dont les dispositifs devraient entrer dans la Constitution. Beau prétexte pour interdire toute manifestation montrant que le climat est une affaire citoyenne. On voudrait nous faire boire l’échec de la COP jusqu’à la lie qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

[^2]: Voir la Richesse, la Valeur et l’Inestimable, Jean-Marie Harribey, LLL, 2013.

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