Haoua Lamine, le goût des autres

Cette avocate née au Cameroun cultive le multiculturalisme et engage toute sa vie contre les injustices.

Jean-Claude Renard  • 16 décembre 2015 abonné·es
Haoua Lamine, le goût des autres
© Photo : DR

Elle reçoit au rez-de-chaussée d’un petit cabinet situé au cœur du XIVe arrondissement de Paris. Des piles de dossiers et des notes griffonnées s’additionnent sur le bureau et les étagères. Deux masques africains suspendus au mur tranchent avec une déco plutôt épurée. Comme un fil tendu avec les origines. L’accueil se fait sans retenue, après une ferme poignée de mains. Haoua Lamine est avocate. Lieu de naissance : le Cameroun, ce pays formant un tableau de « l’Afrique en miniature », dit-elle d’emblée. Haoua est née au Nord, terre sèche et aride, d’un père mandara et d’une mère kanuri, entre deux ethnies différentes, grandissant sous la culture peule, avant de descendre dans le Sud, habillé de forêts luxuriantes, à Yaoundé. Elle a une dizaine d’années quand toute la fratrie (six enfants) suit le père, diplomate, nommé au Nigeria. Nouveau changement, nouveau décor, dans un pays totalement anglophone, dont Haoua garde « non pas l’impression d’être étrangère », mais celle de demeurer dans « une différence qui n’est pas oppressante, et plutôt enrichissante » .

À l’adolescence, Haoua suit ses aînés pour faire ses études secondaires en France, en internat. C’est encore un nouveau départ pour la jeune fille, un autre début dans la vie, séparée de ses parents, dans un pays qui frappe d’abord par « son climat, sa chute de lumière brutale, tombant comme un rideau », avec ses populations différentes, sa mixité, un rapport entre les couleurs de peau qui s’inverse. Mais elle n’en souffre pas, loin de là. Sans doute « parce que je baignais depuis toujours dans les rencontres multiculturelles. Ma relation à l’autre s’inscrivait dans une approche particulière, dans l’accompagnement, la complémentarité. C’est un sentiment presque physique, dans lequel il n’y a pas de frontière, mais des êtres humains, avec leurs défauts et leurs qualités ». La jeune fille ne le sait pas encore, mais c’est un atout, faisant des altérités et des différences une force. Affaire de sensibilités plurielles, l’essence même de son parcours.

Un parcours mû par le sens de l’équité, vécu comme « un besoin irrésistible », un refus de l’injustice « viscéral », presque paradoxal alors : en effet, confie Haoua, elle n’a jamais connu directement le racisme. Les études de droit s’imposent naturellement, « guidée par le symbole du glaive et de la balance ». La formation se veut éminemment théorique. « Au fil des années, j’ai vu la différence entre la théorie et la pratique, entre une égalité en droit mais pas en fait, qui me mettait mal à l’aise, j’avais besoin d’application et du terrain. » Haoua Lamine ira chercher les droits de l’homme dans les interstices du droit international, mais sans avoir encore de notions sur les droits des étrangers, des migrants. C’est au sein de la structure Documentation réfugiés (association aujourd’hui disparue) qu’elle parfait sa formation, loin « du côté feutré des textes, mais dans le concret ». L’expérience se révèle déterminante. C’est aussi là qu’elle se confronte aux discriminations à l’égard des étrangers, une expérience qui la conduira au Gisti [^2], en 1994, en juriste bénévole, puis à l’association Femmes de la Terre. Mais être une juriste en quête d’équité ne lui suffit pas. « J’ai eu l’impression de ne pas avoir fini ma formation, il me manquait un bagage. » Elle poursuit alors un troisième cycle en anthropologie juridique, et prête serment en 2010. Aujourd’hui, chargée de cours à l’université Paris I, assurant des formations sur le droit des étrangers au Gisti, vice-présidente de Femmes de la Terre, l’avocate exerce au cœur des drames humains : le droit des étrangers (séjour, visa, regroupement familial, droit au travail), les naturalisations, le droit d’asile, la protection contre l’excision, la responsabilité civile, le droit de la famille (contestation de paternité, divorce)… « Tout simplement le droit des personnes ! » Quant à savoir pourquoi Haoua Lamine possède en elle cette obsession de l’injustice à réparer, la jeune femme se pose toujours la question. Mais le sourire demeure, et la poignée de mains reste ferme.

[^2]: Groupe d’information et de soutien des immigrés.

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