Le rire est-il un trouble à l’ordre public ?

Christine Tréguier  • 16 décembre 2015
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Jeudi 10 décembre, on a pu voir une trentaine de personnes s’attrouper devant la chambre de l’Agriculture, avenue Georges V. Un présentateur tend son micro à une jeune femme en tailleur qu’il introduit comme la porte-parole de Monsanto. Quel intérêt Monsanto porte-t-il à la COP21 lui demande-t-il ? La porte-parole évoque l’expérience de son entreprise dans les problématiques de la ville et des territoires durables. Quelques exclamations fusent. «  Nous appliquons une politique de transparence totale  » poursuit-elle évoquant l’attachement de Monsanto pour des valeurs comme le soutien aux agriculteurs (rires), la mise en oeuvre de pratiques agricoles durables et soucieuses de l’environnement (rires et huées), ou encore le fait de favoriser des sources d’aliments sains et fiables… Le rire est contagieux, les gens s’arrêtent, l’ambiance est bon enfant et tout le monde a le visage hilare. Quelques clowns se baladent autour expliquant à qui veut bien les écouter que «  le réchauffement climatique est annulé  » et qu’on va désormais se concentrer sur «  le réchauffement du climat de la peur   ».

Cette scène impromptue sur les trottoirs des beaux quartiers, racontée par une journaliste de Reporterre, est l’oeuvre d’un groupe d’activistes écolos. L’état d’urgence empêchant toute manifestation dans Paris pendant la COP21, ils ont décidé d’organiser une opération « thérapie par le rire ». Le principe est simple : rappeler que les discours que tiennent des multinationales comme Monsanto, Carrefour ou BNP Paribas ne sont pas en adéquation avec ce qu’on sait par ailleurs de leurs pratiques. «  Les discours sont copié-collés des sites internet des entreprises , explique Manu l’un des organisateurs, on n’a même pas besoin d’inventer, on se contente de rire de ces déclarations pour en montrer le caractère absurde   ».

La petite troupe traverse les Champs Elysées et se pose à côté d’une supérette Carrefour pour jouer une nouvelle saynète. Mais alors que le comédien déclare l’attachement du géant de l’agroalimentaire à la solidarité, la santé et l’environnement, les rires sont interrompus par l’arrivée d’une quarantaine de policiers en tenue de robocop. «  Nous allons d’abord contrôler vos identités , annonce le responsable, et on verra ensuite  ». Les militants tentent de désamorcer « c’est de l’art, du théâtre de rue ! ». Pour les forces de l’ordre il s’agit d’une manifestation dans un secteur où elles sont interdites. Les contrôles vont se poursuivre pendant plus d’une heure, cinq personnes seront emmenées au poste de police et les autres escortées jusqu’au métro. En période d’état d’urgence, on a encore le droit de distribuer des tracts électoraux et de arpenter les marchés pour parler politique aux passants, mais pas de faire le clown. Inciter les autres à rire devient un trouble à l’ordre public assez grave pour que la Préfecture dépêche quatre cars de police pour le faire cesser.

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