Questions pour un connard

Au fil des ans, c’est tout le discours public dominant qui n’a cessé d’être droitisé.

Sébastien Fontenelle  • 9 décembre 2015 abonné·es

Connard ? T’es là ? Non, je demande parce que depuis quelques heures – depuis qu’on sait les résultats du premier tour des élections régionales, avec l’FN à 28 % – je t’entends plus. Et ça m’étonne parce que d’habitude t’es plutôt du genre bruyant. D’habitude – ça fait bien quatorze ans que ça dure – tu ne restes jamais plus de quelques minutes sans bramer qu’il faut briser-les-tabous-qu’empêchent-qu’on-appelle-un-chat-un-chat-et-un(e)-immigré(e)-un -« problème », et pas laisser au parti pénique le monopole de la phobie désinhibée, ou, sinon, t’sais quoi ? Il va s’installer si durablement dans le paysage politicien françousque qu’il finira par devenir, à la sortie des urnes, le premier parti du pays.

Nous l’as-tu répété, hein, connard ? Qu’il convenait, pour contenir l’extrême droite dans son étiage, que nous nous émancipions de l’ « angélisme bien-pensant » qui nous faisait venir des urticaires quand elle hurlait ses haines. Qu’il ne fallait plus jamais lui abandonner le terrain des recroquevillements sécuritaires et de l’onanisme identitaire. Ainsi fut fait, comme tu sais : t’as été entendu(e) par les oligarchies médiatiques et partidaires. Ça s’est lâché comme jamais dans la décomplexion : c’est parti en meute à la chasse – aux musulman(e) s, aux Roms… Et aux salarié(e)s, il va de soi, reconditionné(e)s en « assisté(e)s » sous les hourras du patronat. Ç’a fait assaut de fermeté dans les reniements les plus morbides : qui n’a pas vu de ses yeux vu (il y a quelques années) le hideux spectacle télévisuel d’un « socialiste »  jurant devant la Maréchal-Pen que le parti solférinien s’était enfin libéré de ses naïvetés dans les matières touchant à la « sécurité » ne sait rien de ce qu’est l’obscénité avérée.

Et finalement, au fil des ans, c’est tout le discours public, dans ses formes dominantes, qui n’a cessé d’être droitisé – sous le prétexte, donc, que ce n’était qu’ainsi qu’on entraverait le Front national. Et pour qui s’en inquiétait – ne parlons même pas de s’en offusquer – t’avais toujours dans ta manche quelques anathèmes bien dégueulasses, à base, généralement, d’islamo-gauchistes-idiot(e)s-utiles-du-jihadisme. Questions pour toi, pauvre connard – j’espère que t’excuseras la rugosité de l’appellation : je suis juste un peu irrité. Questions pour toi, disais-je : pendant qu’on t’entend plus, qu’est-ce que tu fais exactement ? Tu rédiges – avant de t’exiler vers les antipodes pour y cuver ta honte d’avoir de fait hissé les Pen au firmament électoral – une longue lettre d’excuses où tu bats ta coulpe et reconnais n’avoir très longtemps dit que d’épouvantables connarderies ?

Ou tu prends ton élan pour mieux revenir dès demain proférer que cette plèbe qui se donne à l’extrême droite est vraiment désespérante – mais qu’il convient tout de même, pour la remettre dans le droit chemin, de lui administrer encore une dose du raidissement cocardier, mélangé de plusieurs volumes de fondamentalisme libéral, qui a si bien servi les Pen ?

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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