Enfants pervertis du capitalisme

Notre mal vient de plus loin est le texte d’une conférence prononcée par Alain Badiou dix jours après les tueries du 13 novembre, dont il offre une analyse pénétrante.

Christophe Kantcheff  • 20 janvier 2016 abonné·es
Enfants pervertis du capitalisme
Notre mal vient de plus loin, Alain Badiou, Fayard, 63 p, 5 euros.
© MIGUEL MEDINA/AFP

C’était le 23 novembre 2015, dix jours après les attentats à Paris. Alain Badiou donnait une conférence pour, déjà, tenter de les penser – car « on ne doit rien laisser dans le registre de l’impensable ». Depuis, la vidéo de cette conférence a fait le tour des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le texte prononcé par le philosophe est publié sous le titre racinien Notre mal vient de plus loin. En quelques dizaines de pages, c’est une vision cohérente du monde que livre Alain Badiou, un monde qui ne compte plus aucune marge, le capitalisme globalisé dominant la planète. C’est là un axe essentiel de sa démonstration : ne pas chercher les racines du mal au sein d’une autre civilisation qui engendrerait ses « barbares », prêts à en découdre avec l’Occident. Surtout ne pas prendre l’islam pour clé d’explication. « La religion n’est qu’un vêtement, elle n’est aucunement le fond de l’affaire, écrit celui qui reste fidèle à la grille d’analyse qu’offre le marxisme_, c’est une forme de subjectivation, pas le contenu réel de la chose. »_

Que les auteurs des massacres soient issus de notre sol n’a qu’une importance secondaire, pour Alain Badiou, car ils appartiennent surtout à la majeure partie de la population mondiale qui ne bénéficie pas des bienfaits que procure l’Occident. Dans cette multitude, l’auteur distingue deux « subjectivités » possibles. Le désir d’Occident : ce sont les migrants ou ceux qui s’accommodent d’une copie du modèle avec des moyens misérables. Ou le nihilisme : c’est la version négative de la précédente, une fascination qui se transforme en destruction. Cette seconde subjectivité se retrouve chez les tueurs de Paris. Elle a fait d’eux des « fascistes ». D’où cette phrase, lâchée comme un slogan : « C’est la fascisation qui islamise, et non l’islam qui fascise. »

Alain Badiou poursuit ainsi son idée-force selon laquelle rien n’est extérieur au capitalisme, même si le fascisme dont il parle en est une « perversion subjective ». Il a précédemment analysé comment celui-ci avait affaibli, voire détruit, les États, comme en Irak, pour créer des zones anarchiques où sévissent des bandes armées plus ou moins contrôlables, mais avec lesquelles le commerce reste possible. Ainsi avec Daech. « De même que le désir nihiliste n’est qu’un envers du désir d’Occident, écrit-il, de même les zones désétatisées où prospère la subjectivité nihiliste sont articulées au marché mondial, et donc au réel de l’Occident. »

Ce n’est pas ailleurs mais « plus loin » qu’il faut chercher l’origine du mal. Dans cette incapacité à forger, depuis plus de quarante ans, « une politique qui serait disjointe de toute intériorité au capitalisme ». Cette politique, ou cette idée, il la nomme sans surprise le « communisme ». Quel que soit son nom, il est urgent de la réinventer.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Entretien 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef