Ma caravane et moi

[FIPA 2016] Glissant la légèreté dans la gravité, Stéphane Mercurio filme la vie ordinaire de petites gens vivant au camping. Une œuvre subtile.

Jean-Claude Renard  • 21 janvier 2016
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Ma caravane et moi
© Photo. DR

Eric est un peu perdu dans son espace étriqué, où « tout est à portée de mains ». Il a dû s’organiser entre le garde meubles et ce qui peut rentrer dans sa caravane, ce qui sert ou pas, distinguer le superficiel de l’essentiel. Il faut s’habituer. « Avant, c’était les vacances, maintenant, c’est ma maison. » Faute de solutions, il a bien fallu « se lancer ». Loin d’être atterré, ou désuni, il en rit. Pour l’instant. De quoi demain sera fait ?…

Tout près, Philippe, un outilleur sur machines à coulisseaux, lui aussi installé dans ce camping, raconte face caméra son parcours, celui d’une petite usine rachetée par un groupe, opérant des coupes sombres et l’incitant à prendre son « bâton de pèlerin » pour exercer son métier ailleurs. Tandis que la caméra tourne, il reste concentré sur une vieille pièce mécanique d’un moteur qu’il entend restaurer. Un métier qui est en train de disparaître. Il le sait.

Pour les uns, c’est le boulot qui les a conduit là. Pour d’autres, ce sont les circonstances de la vie. Circonstances retorses. Ici, le chômage, là, une séparation. Pour Chantal, c’est une mouise financière. Mais pour d’autres encore, c’est une vie nomade plus ou moins assumée, avec ses impressions « de liberté, de vivre dehors ». Plus ou moins assumée parce que le sujet est tabou. A l’extérieur, on a vite fait de passer pour pauvre, de subir l’œil compatissant ou réprobateur des autres. On n’est jamais à l’abri d’un regard. Parce que « le camping, c’est pas la rue, mais c’est presque pareil ». Du presque pareil qui ne manque pas de courage. Encore faut-il passer l’hiver, propice aux projets, et tenir le froid. Pas facile. « C’est sûr qu’au début tu lèches des semelles », dit une jeune infirmière en quête de travail. D’autres « résidents » encore vivent le camping comme une récréation, loin d’un petit appartement en ville replié sur lui-même, ses quatre murs, à tourner en rond dans un carré. Dans l’ensemble, c’est là une communauté, aux liens resserrés, animée de solidarités, qui panse ses plaies, avant de repartir peut-être, ou pas. On y vit le présent, on raconte son passé, ses petites infortunes, ses déboires. Mais avec les bons côtés, entre méchoui collectif et parties de pétanque. Voilà des échoués à l’épreuve d’une contre mauvaise fortune bon cœur, négociant sur les cordes fragiles de l’optimisme.

La caméra va, vient, accoste, en délicatesse (on aperçoit même une factrice à bicyclette, opérant sa tournée, d’une caravane l’autre). Stéphane Mercurio (Scènes de ménage avec Clémentine ; Vivre sans toit ; A l’ombre de la République ; A côté ; ou encore Mourir ? Plutôt crever !) suit de près ses protagonistes, sans jamais sortir du camping, de son périmètre, converse avec son menu peuple, mais ne surligne pas. Elle n’ajoute aucun commentaire, ni sous-titre ou banc-titre. Il faut attendre le générique de fin pour savoir qu’il s’agit du camping Le Large, à Villars-les-Dombes, enclavé dans l’Ain (pas vraiment bord de mer, et rare camping ouvert à l’année). Sans jamais rentrer dans l’intimité des campeurs, la réalisatrice n’en attrape pas moins des moments clé d’intense humanité, captant les confessions discrètement, au diapason de sa caméra, jusqu’aux rêves à peine ébauchés, à peine prononcés, dessinant, in fine, une galerie de portraits virant à l’universel. La trajectoire de Philippe en est un exemple, valant bien une histoire de l’économie contemporaine, avec ses délocalisations et la fin d’un monde ouvrier.

La Caravane reste, Stéphane Mercurio, 58’. Egalement programmé sur Arte le 19 février, à 23 h05.

Médias
Temps de lecture : 3 minutes
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