Trois épines vertes dans le pied de Hollande

Notre-Dame-des-Landes, nucléaire, climat : alors que la présidentielle de 2017 obnubile déjà le paysage politique, de gros dossiers écologiques vont peser lourd dans la campagne du candidat socialiste.

Patrick Piro  • 13 janvier 2016 abonné·es
Trois épines vertes dans le pied de Hollande
© Photo : JEAN-SEBASTIEN EVRARD/AFP

Mobilisation massive à Nantes samedi dernier : à pied, à vélo ou en tracteur, plus de 20 000 personnes ont bloqué le périphérique des heures durant pour protester contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Une réussite qui donne une indication sur le degré de motivation des opposants, alors que les organisateurs, pris de court par l’accélération du calendrier judiciaire, avaient dû avancer la manifestation d’une semaine. François Hollande a affirmé que l’écologie ferait partie de ses priorités de 2016. Mais le Président sait qu’il aura besoin de ratisser bien au-delà du périmètre socialiste s’il veut se qualifier pour le second tour du scrutin de 2017. Les militants écolos viennent de lui signifier avec force qu’ils l’attendent au tournant. Trois dossiers, au moins, pèseront dans la balance.

Notre-Dame-des-Landes

La pression s’est brutalement accentuée sur le site du projet d’aéroport. La veille de l’ouverture de la COP 21, la préfecture de Loire-Atlantique annonçait la reprise des travaux, deux ans après leur suspension. Et, dès le lendemain de son élection, le très vindicatif Bruno Retailleau (LR), nouveau président du conseil régional des Pays de la Loire, en obtenait confirmation auprès de Manuel Valls. Hostilités également relancées sur le terrain par AGO Vinci. Le 10 décembre, la justice examinait un référé « expulsion » déposé par le concessionnaire pour obtenir le départ des « historiques », la quinzaine de paysans déjà installés avant la déclaration d’utilité publique, et dont la grève de la faim, au printemps 2012, avait poussé le candidat François Hollande à s’engager à ce qu’aucun acte n’intervienne avant l’extinction de tous les recours. Certes, les opposants ont été déboutés en juillet dernier concernant les infractions alléguées à la loi sur l’eau et les espèces protégées, « mais il reste les appels, la Cassation et le Conseil d’État ! Cette offensive est une très mauvaise surprise », s’alarme Geneviève Coiffard, de l’Acipa, principal collectif d’opposition. D’autant qu’AGO Vinci n’a pas lésiné sur les formes, demandant la mise à la rue immédiate, « sans considération de la trêve hivernale, à raison d’une astreinte journalière atteignant jusqu’à 1 000 euros par famille, avec séquestre des biens, du matériel agricole et des cheptels – c’est inouï ! ». AGO Vinci avait finalement accepté un report. Mais le calendrier s’est précipité. L’audience, prévue pour fin janvier, s’est tenue mercredi dernier, réactivant instantanément l’opposition. « AGO Vinci s’imagine-t-il que s’attaquer aux paysans va déstabiliser la ZAD ? Tentative grossière ! Depuis trois ans, le mouvement s’est fortement consolidé, on ne laissera taper sur aucune des composantes de la lutte », reprend Geneviève Coiffard. Et, en écho aux appels d’offres lancés en octobre par le concessionnaire pour des travaux préparatoires, la ZAD a émis ses propres « appels d’offres » auprès des bénévoles pour une opération d’entretien de la voirie, des haies, des champs, etc. les 30 et 31 janvier.

Fessenheim

Parmi les promesses du candidat Hollande encore suspendues au bon vouloir du Président, la fermeture de la centrale nucléaire alsacienne, la plus vieille du pays (35 ans), est l’une des plus sensibles pour les écologistes, autant par nécessité de sécurité qu’en raison du symbole – c’est la première fois que l’atome civil reculerait en France depuis son essor dans les années 1970. L’affaire s’est compliquée avec le compromis obtenu par EDF : la loi de transition énergétique adoptée en août dernier ne comporte aucune référence à cette fermeture. Le texte plafonne la capacité nucléaire nationale à 63,2 gigawatts (GW) – sa valeur actuelle. L’explication de cet évitement a été livrée par la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal : Fessenheim (deux réacteurs de 0,9 GW) ne fermerait que lorsque l’EPR (1,65 GW) en construction à Flamanville entrerait en service. Tour de passe-passe, la promesse présidentielle se retrouve asservie au calendrier chaotique du nouveau réacteur [^2], « ce que nous dénonçons depuis des mois », souligne Charlotte Mijeon, chargée de campagne au Réseau sortir du nucléaire. Alors que le décret de création de l’EPR a fixé au 11 avril 2017 la limite de son entrée en service, Jean-Bernard Lévy, PDG du groupe EDF, demandait le 9 octobre dernier une rallonge de… trois ans. Ce que la ministre ne peut refuser, sous peine de faire tomber l’EPR. En cohérence avec l’échéance électorale de François Hollande, Ségolène Royal y a mis une condition : que l’électricien dépose conjointement, et avant le 30 juin 2016, une demande d’autorisation d’exploitation de l’EPR et une demande d’abrogation d’exploitation de Fessenheim. « Mais la date d’effectivité, pour cette dernière, sera-t-elle antérieure à la présidentielle 2017 ? », interroge Charlotte Mijeon. Incertain, au regard des délais nécessaires à la mise hors-service d’un réacteur, « d’autant plus que Hollande fait le service minimum ». Il suffirait qu’EDF dépose un dossier incomplet fin juin pour que le calendrier glisse et qu’un futur président de droite ait latitude pour annuler la fermeture de Fessenheim. Les antinucléaires comptent se mobiliser dès janvier pour dénoncer le risque que représentent les défaillances répétées de Fessenheim (une dizaine en dix-huit mois) et appellent d’ores et déjà à une grande manifestation pour l’arrêt du nucléaire les 1er et 2 octobre prochains.

Climat

L’accord de Paris n’a rien résolu, et l’engagement de la société civile contre le dérèglement climatique s’intensifiera dans les mois qui viennent, ont affirmé les organisations au lendemain de la COP 21, satisfaites des mobilisations de décembre, même si elles attendaient plus de monde dans la rue. Un bilan plus complet devrait être tiré en janvier. Il abordera notamment l’état de la Coalition Climat 21. Ce rassemblement inédit de 130 organisations citoyennes, quoique tiraillé entre pro et anti-désobéissance après les mesures d’interdiction de manifester imposées par le gouvernement, n’a cependant pas volé en éclats, et la volonté de tirer parti de cet élan devrait s’affirmer. Les organisations françaises comptent sur la période préélectorale pour faire pression sur le gouvernement. Plusieurs rendez-vous sont déjà sur les agendas. Les 21 et 22 février, le mouvement Alternatiba, qui a touché plus de 500 000 personnes en deux ans, pourrait décider d’engager une campagne très concrète, indique Jon Palais, un de ses animateurs. Autre rendez-vous : la mise en route de la loi de transition énergétique. Au cœur de sa dynamique, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit décider à étapes régulières du recul des énergies fossiles et du nucléaire, ainsi que de la progression des renouvelables. « Il y a du retard, les premières propositions sont faibles et il n’y a rien concernant la baisse des consommations d’énergie », souligne Anne Bringault, chargée du suivi au Réseau action climat. La première PPE est attendue en mai. Auparavant, les associations comptent obtenir des annonces fortes de François Hollande à l’occasion de la Conférence environnementale annuelle, qui se tiendra en mars [^3]. Côté international, les mouvements climatiques (Climate Justice Network, Climate Action Network, Coalition Climat 21, etc.) se sont donné rendez-vous à Berlin les 13 et 14 février pour envisager de passer à la vitesse supérieure dans l’interpellation des gouvernements. À l’initiative du mouvement 350.org, entre autres, se prépare, du 7 au 13 mai, une vaste opération de blocage de projets « climaticides » dans divers pays du monde. Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne devrait pas y échapper.

[^2]: En septembre dernier, EDF a annoncé un nouveau dérapage du calendrier, et un coût final de 10,5 milliards d’euros, contre 3 milliards prévus au départ du chantier.

[^3]: Édition 2015, repoussée en raison de la tenue de la COP 21.

Écologie
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