Un antiracisme à géométrie variable

Il va de soi que personne au Parlement ne s’est pointé avec un voile.

Sébastien Fontenelle  • 20 janvier 2016 abonné·es

Au mois de novembre dernier, peu après les attentats qui venaient d’ensanglanter Paris, une jeune femme voilée a été attaquée au cutter, à Marseille, par un taré qui l’a accusée d’être une terroriste. Aussitôt, François Hollande, président de la République française, a déclaré – selon le communiqué publié par l’Élysée : « À Marseille, une passante a été victime d’une agression islamophobe commise par un homme dont les motivations ne laissent hélas aucun doute. De tels actes sont innommables et injustifiables. » Puis d’adresser « tout son soutien à la victime et à ses proches », et de redire « la mobilisation des pouvoirs publics pour agir avec la plus grande fermeté contre l’antisémitisme et le racisme ». De son côté, le Premier ministre, Manuel Valls, a promptement publié ce tweet, qui témoignait de sa très vive – et si légitime – indignation : « L’agression islamophobe d’une passante à Marseille nous révulse. Intransigeance face à ceux qui s’en prennent à notre unité républicaine. » Puis encore : quelques députées – de vrai peu nombreuses – sont entrées dans l’Assemblée nationale coiffées d’un hidjab pour exprimer un peu ostensiblement leur solidarité avec la victime.

J’invente, bien sûr. Pas tout : une jeune musulmane a effectivement été attaquée à coups de poing et de cutter par un quidam qui l’a traitée de terroriste, à Marseille, le 15 novembre. Mais ni le chef de l’État ni son Premier ministre n’ont jugé utile ou nécessaire d’exprimer – qui par un communiqué, qui par un tweet – une quelconque indignation. Et il va de soi que personne ne s’est pointé au Parlement avec un voile : cette coiffe est, comme on sait, fort mal vue dans les lieux publics.

Par contre. Quand, le 11 janvier dernier, un enseignant juif portant une kippa a été attaqué, toujours à Marseille, par un taré qui lui a porté plusieurs coups de machette, François Hollande et Manuel Valls ont immédiatement réagi, le premier en dénonçant des « actes innommables et injustifiables » et en apportant « tout son soutien à la victime et à ses proches », le second en déclarant : « L’agression antisémite d’un professeur à Marseille nous révulse. Intransigeance face à ceux qui s’en prennent à notre unité républicaine. » Et quelques députés ont arboré une kippa dans l’Assemblée.

Entendons-nous bien : il est, pour le moins normal que les plus hautes autorités de l’État s’offusquent d’un acte aussi atroce. C’est leur silence qui serait, en de si glaçantes circonstances, totalement insupportable.

Mais justement : pourquoi MM. Hollande et Valls n’ont-ils pas eu, deux mois plus tôt, le même élan vers la victime, musulmane celle-là, d’une autre attaque à l’arme blanche ? Considèrent-ils que ce qu’ils appellent « l’unité républicaine » est plus abîmé par la haine antisémite que par son pendant islamophobe ? Se rendent-ils compte qu’ils nourrissent, par l’inéquité de leurs réactions à deux horribles faits divers de même nature, l’idée, excessivement mortifère, que toutes les formes du racisme – et leurs victimes – ne se vaudraient pas ?

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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