Un film en questions

Violent et dépourvu d’un nécessaire didactisme, Salafistes relève d’un regard irresponsable.

Christophe Kantcheff  et  Jean-Claude Renard  • 27 janvier 2016 abonné·es
Un film en questions
© Photo : DR

On ne savait pas encore, au moment où nous mettions sous presse, si Fleur Pellerin se prononcerait pour une interdiction aux moins de 18 ans, assortie d’une obligation d’avertissement au public, à l’encontre de Salafistes, le film de François Margolin et Lemine Ould Salem. La ministre de la Culture attendait un second avis de la commission de classification des films, qui s’était, dans un premier temps, prononcée pour cette interdiction. Quant à sa sortie en salles, prévue pour ce mercredi, elle paraissait compromise.

En compétition au Fipa dans la section « Grand reportage et investigation », Salafistes y a créé un incontestable malaise. S’efforçant de raconter ce qu’est l’islamisme radical, les deux réalisateurs sont allés à la rencontre des prêches les plus radicaux au Mali, dans Gao et Tombouctou, en Mauritanie, en Tunisie et en Irak, entre 2012 et 2015. Aux discours s’ajoutent la propagande de Daech, plusieurs vidéos et des images particulièrement violentes (exécutions sommaires, mutilations, coups de fouet). Pour les réalisateurs, il s’agit de montrer l’horreur telle qu’elle est. Ce qui relève d’une naïveté déjà suspecte. De plus, le carton placé au début du film reprend sans distance la rhétorique guerrière: « Ce film choquera peut-être mais nous le croyons nécessaire. Nous avons choisi d’écouter des propos que l’on ne veut pas entendre, de montrer des images que l’on ne veut pas voir. Il ne s’agit pas d’un petit groupe terroriste mais d’une école de pensée et sans doute même d’un État en formation. Qui nous fait la guerre. Ce sont les Salafistes. »

Le film (coproduit par France 3 et soutenu par Canal +) manque singulièrement de pédagogie, de recul, d’éclaircissements, et jette à l’écran des images sans aucune contextualisation. Ni distance ni commentaire (bien souvent, on ne sait qui sont les prêcheurs et à qui ils s’adressent, et il n’est même pas dit qu’Omar Ould Hamaha, l’un des chefs jihadistes, intervenant longuement dans le film, est supposé être mort). C’est exactement ce qu’on aime dans le documentaire. Éviter qu’on prenne le téléspectateur par la main. Mais ici le sujet mérite les précautions d’usage, un minimum d’indications didactiques. Autre problème, les images non floutées de l’exécution par les frères Kouachi du policier Ahmed Merabet, près du siège de Charlie Hebdo, contrairement à la demande de la famille, par respect de la victime.

Pire qu’une absence de point de vue, Salafistes témoigne d’une totale irresponsabilité du regard. Là où Claude Lanzmann décèle un « véritable chef-d’œuvre éclairant comme jamais […] la vie quotidienne sous la “charia” », on peut aussi voir, pour reprendre le terme de Jacques Rivette, une abjection.

Cinéma
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