Mme Heinich n’est pas Mme Michu

Nathalie Heinich ne veut pas aller voir le film Salafistes.

Christophe Kantcheff  • 10 février 2016
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Mme Heinich n’est pas Mme Michu
© Photo : DR

Nathalie Heinich ne veut pas aller voir le film Salafistes parce qu’elle a lu dans le journal, peut-être dans Politis, que ce n’était pas bien. Nous ne manifesterions qu’un intérêt circonspect envers cette « nouvelle », même exprimée sous la forme d’une tribune dans Le Monde de ce week-end, si Mme Heinich se confondait avec la célèbre et néanmoins anonyme Mme Michu. Mais voilà : Mme Heinich n’est pas n’importe qui puisqu’elle est sociologue. « Spécialiste de l’art contemporain ». Et donc, grande lectrice de la presse.

Est-ce une nouvelle méthode scientifique, mise au point par l’esprit savant de Mme Heinich, que de procéder à l’analyse d’un film à partir des articles qui lui ont été consacrés ? « Je n’ai pas besoin de voir Salafistes pour savoir, grâce aux descriptions qui en ont été données dans la presse, que son principe même est inacceptable. Et j’estime avoir le droit de les critiquer sans avoir à subir le dégoût […] de les visionner. » Ah ! Si Roland Barthes avait connu à son époque la méthode révolutionnaire de Mme Heinich, quelle économie de temps aurait-il fait ! Foin de la vision de Salò pour écrire son célèbre article « Sade-Pasolini » ! Il aurait lu dans les journaux que « cette dénonciation du fascisme donne un film dégradant, insupportable et dont chaque spectateur se sentira sali » (Le Monde, en 1975) et… se serait abstenu de toute réflexion supplémentaire. Ce qui l’aurait moins fatigué.

Cela dit, Mme Heinich est aussi plus avancée conceptuellement que ne l’était l’auteur de La Chambre claire. La « spécialiste de l’art contemporain » livre ainsi cette pensée pénétrante sur le spectateur pénétré : « Une image est d’abord un vecteur d’émotions, qui agit sur le spectateur bien plus qu’elle ne lui donne à réfléchir, à connaître, à comprendre. » Elle s’exclame aussi, en protectrice de la jeunesse : « Comment peut-on ne pas savoir que les images de violence extrême visionnées par des adolescents créent une addiction qui les pousse à rechercher des sensations toujours plus fortes dans d’autres images, voire dans le spectacle de tels actes et, pourquoi pas, dans leur réalisation ? » Pourquoi pas, en effet ? Avec des conceptions si novatrices, ou bien Mme Heinich frôle la rupture épistémologique. Ou bien elle yoyotte de la cafetière.

Culture
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