Coup de foudre à la manif

Ils sont sept, en mode urgence. Emportés par l’envie de vivre autrement, de s’opposer autrement, d’aimer autrement…

Ingrid Merckx  • 30 mars 2016 abonné·es
Coup de foudre à la manif
© **Dans le désordre**, Marion Brunet, Sarbacane, 256 p., 15,50 euros. Illustration : DR

Ils se croisent dans une manif qui tourne mal. C’est juste un échange de regards, mais ça suffit. Lui est embarqué par les flics. Elle s’échappe grâce à un copain à lui. Le lendemain, ils l’attendent devant le commissariat. Jeanne est étudiante en lettres classiques et vit en cité U. Basile est cordiste et vit dans un squat. Les autres, c’est Ali, étudiante en histoire de l’art, Tonio, vieil anar au chômage, Marc, un assidu de l’action directe qui écrit des articles incendiaires dans un journal libertaire. Et puis Lucie, qui arrête le droit pour être serveuse, et Jules, en fac d’histoire et jardinier, inséparables. Toute la bande veut en découdre, vivre « différemment », « s’opposer vraiment », comme sur « le plateau, Notre-Dame-des-Landes… ». Dans le désordre est tellement contemporain qu’il pourrait se tenir ces jours-ci, en pleine mobilisation contre la loi travail.

Auteur pour la jeunesse (-Frangine, La Gueule du loup, L’Ogre au pull vert moutarde), Marion Brunet s’attaque à l’effervescence des 20 ans en lutte. Contre–sommets, affichages sauvages et monde refait au café et à la bière. La satire sociale est juste et acide. La relation aux potes dépeinte avec tendresse. Et les rapports familiaux décortiqués avec une acuité troublante. Marc ne parle jamais de ses parents. Ali déteste son père. Jeanne adore le sien, qui vit dans les livres et dans la nature, en plein « survol aérien » de ce qui la révolte, elle. Complice lointain. « Il est tatoué ? – Non ! – Percé ? – Non ! – Repris de justice ? – Papa ! – Junky ? – Papaaa ! – Chanteur dans un groupe de punk ? – Mais non ! – Je sais : c’est une fille ! Elle soupire, secoue la tête. – Ben il est quoi, alors ? – Anarchiste. – Ah, tu me rassures. J’ai cru qu’il était normal… »

Les anars, les squats, ce sont des milieux qu’elle semble connaître, Marion Brunet. « Aujourd’hui, tout s’est ramolli, tout est trop confortable. Même les plus révoltés se laissent coincer par la dernière saison de –Breaking Bad et un pack de bières à la vodka. » Et si elle peut se faire naïve dans certaines formulations, ou un peu attendue sur le corpus (Marx et Engels, Ni Dieu ni maître, le Comité invisible…), elle est percutante dans ses descriptions. Des scènes d’action (fouilles de poubelles, vols, collages d’affiches, manif) au petit théâtre du jeu de chacun dans les scènes de groupe ou les tête-à-tête, et dans sa lecture de profonds états intérieurs. Jusqu’aux coups de matraque, jusqu’à la brisure.

Littérature
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